BnF, Mss, NAF 16324, f. 86-87

Mercredi, 6 h. du soir

J’ai perdu^a depuis longtemps l’espoir de te voir aujourd’hui. Il paraît, et j’en suis bien aise pour ce pauvre Charlot, que sa douleur de dent s’est calmée. Mais ce qui est un repos et un bonheur pour ce cher petit enfant est un tourment et une souffrance pour moi, pauvre fille isolée du monde entier. Quand je ne vous vois pas, mon cher adoré, je suis comme une journée d’automne sans un rayon de soleil. Tout autour de ma vie est désolé, brumeux et sans charme.^b Je m’aperçois que je me plains malgré la promesse que je vous avais faite d’être résignée et patiente. Tâchons de tenir une partie de nos promesses au moins envers vous. Oui, je suis pleine de courage et de patience pour ce présent si difficile à passer. Je suis pleine d’amour et de foi pour notre avenir qui sera beau et doux, si le ciel est juste.
Je suis toujours un peu souffrante. Je travaille à te copier le journal d’un voyage qui serait à lui seul toute une vie d’amour et de délices. Je lis… quand M^lle Dédé ne m’a pas coupé^c la moitié d’un volume ! Quelle coupure impitoyable ! que la griffe de M^lle Dédé. Si j’avais les jolis petits doigts^d et mes grands ciseaux, nous verrions un peu à reconquérir nos droits sur les journaux et les brochures auxquels^e nous nous sommes abonnés en commun^f.
Je suis, comme tu le vois, occupée de toi, uniquement de toi. Je t’aime, je t’adore, je te baise en rêve, je te baise en désir, je te baise en espoir partout.

Juliette

Lanvin m’a écrit pour me mander que le propriétaire s’était refusé à laisser rien sortir avant le paiement de l’autre terme.

BnF, Mss, NAF 16324, f. 86-87
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « perdue ».
b) Juliette laisse un espace avant d’écrire la phrase suivante.
c) « coupée ».
d) « doits ».
e) « auquels ».
f) « communs ».