Mardi, 8 h. ½ du soir
2 juin [18]35 ?a
Que je te dise que je t’aime ! Que je te dise que je pense à toi ! Ce n’est pas assez : il faudrait pouvoir dire comment je t’adore dans mon cœur, dans quelle contemplation de toi je suis toujours. L’amour que j’ai au-dedans de moi ressemble tout à fait à la voix ravissante qui te chante des airs merveilleux dans toi, et qui ne rend plus à l’extérieur que des sons confus et sans mélodie. Eh bien moi, c’est la même chose. Je sens au dedans de moi une voix qui prononce des mots du paradis et quand je veux les écrire, je ne trouve plus que des mots insignifiants et sans suite. Mais n’importe. La voix, l’amour, l’âme, n’en font pas moins leur partie dans ce concert intérieur.
Quel délicieux voyage nous avons faitb [1]. Sans la tristesse de ce bon M. N., tout aurait été heureux et charmant autour de nous. Oh ! que je t’aime. Reviens vite, mon Victor bien-aimé. Vraiment, je ne me sens vivre qu’auprès de toi, je n’ai de joie qu’en toi, de bonheur et de plaisir qu’avec toi. Mon Dieu, mon Dieu, que je t’aime ! Je voudrais mettre toute mon âme dans ce mot-là, toute ma vie dans un baiser sur ta jolie bouche.
Juliette
10 h. moins ¼
Tu ne viens pas, mon cher Toto, mais je ne t’en veux pas. Je t’aime et je profite de ce moment de retard pour te l’écrire. Si j’en croisc l’indication du Charles Maurice, Angelo commencerait aujourd’hui à 7 h [2]. S’il est bien informé, nous ne pourrons pas arriver assez à temps pour le voir, car la pièce ne dure que 3 h.
Te voilà mon amour, ma vie, ma joie. Je t’aime.
[Adresse :]
À mon Victor bien-aiméd
BnF, Mss, NAF 16324, f. 1-2
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) Date rajoutée sur le manuscrit d’une main différente de celle de Juliette.
b) « faits ».
c) « croie ».
d) Juliette a écrit la deuxième partie de sa lettre par-dessus l’adresse.