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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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8 avril 1843

8 avril 1843, samedi matin, 11 h. ¼

Bonjour, mon cher petit bien-aimé, bonjour, mon cher adoré petit homme. Comment vas-tu ? Je t’aime. J’ai rêvé de toi toute la nuit. J’aurais voulu ne pas me réveiller. Nous étions si heureux que je voulais dormir encore si ce bon rêve de bonheur devait durer. La réalité dans ce moment-ci n’est pas une chose bien regrettable. Tu es presque toujours loin de moi et toutes les choses de la vie nous arrivent si mêlées et si bousculées que ça ne vaut pas la peine de s’y attacher.
Je t’ai écrit les petites observations que j’ai faites en écoutant ta pièce hier mais je te conseille de les faire toi-même si tu veux qu’elles profitent au lieu de devenir nuisibles par le canal de ce hideux Saint-Paul [1] : il y a une manière de dire les choses doucement et gravement qui font mieux, dans tous les cas, que les conseils plus ou moins louches que peut faire en ton nom cet homme perfide qui n’a aucun ascendant ni aucune autorité sur les acteurs. Tu en feras ce que tu voudras mais à ta place je ferais ce que je te dis.
Jour Toto. Je continue mon petit métier de mouche du coche pour lequel j’ai une vocation merveilleuse et particulière mais puisque cela ne te déplait pas j’en suis ravie et je continuerai de plus belle. Il faut bien que je fasse quelque chose moi quand ce ne serait que de bourdonner et de me mettre sur le nez de l’automédon [2]. Pendant ce temps-là je me crois utile et cela me satisfait à peu de frais. J’aime encore mieux mon ridicule que la somnolence stupide de cette pauvre Mme Guérard. Quelle crétine que cette pauvre femme-là. Il me serait impossible de vivre avec elle, c’est tout ce que je peux faire en la pinçant et en lui donnant des coups de pieds que de la supporter pendant deux heures. Décidément cette pauvre femme tourne à l’imbécillité comme son mari. Je désire fort qu’elle reste chez elle surtout quand on jouera ta pièce. Je ne veux plus la ramener sous aucun prétexte. Mais je t’aime. Tout ce que je te dis là ne vaut pas la peine d’être dit ni chanté. Je t’aime, voilà ce qui m’occupe, ce qui m’intéresse, ce qui est toute ma vie.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16352, f. 15-16
Transcription de Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette


8 avril 1843, samedi soir, 9 h. ½

Au moment où je me mettais à la table pour t’écrire, mon adoré, Mme Franque est arrivée pour te remercier au nom de M. Suquet et au sien du billet des Burgraves. Malheureusement le jour où il a eu la stalle était ce fameux jour où on n’a pas laissé parler les acteurs de sorte qu’il a peu ou mal entendu la pièce. Enfin la bonne intention y était de part et d’autre, nous n’avons rien à nous reprocher ni les uns ni les autres. Seulement Mme Franque m’a suppliéea de la lui faire revoir ainsi qu’à sa fille qui doit sortir à Pâques. Je le lui ai promis parce que je compte sur ma loge K [3], c’est-à-dire sur ta bonté ravissante. Clairette ne sera pas fâchée elle non plus de revoir les Burgraves. Nous mettrons les deux péronnelles sur le devant et nous nous tiendrons maternellement derrière.
Mais tout cela ne fait pas que je ne sois pas furieuse contre vous, monstre d’homme et que je ne tire pas la langue longue comme le bras du besoin de vous voir. Si vous croyez que ça m’arrange, vous êtes dans l’erreur. Je suis très loin d’être contente, il s’en faut même de très peu que je ne sois très triste. Qu’est-ce qui vous est donc arrivé, mon petit homme, que vous n’êtes pas venu depuis tantôt ? Vous étiez bien coquet et bien pimpant, et vous n’avez pas daignéb me regarder en tournant le coin de ma rue. Je ne suis pas du tout tranquille sur votre conduite et sur votre cœur. Dépêchez-vous de venir me rassurer.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16352, f. 17-18
Transcription de Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « supplié ».
b) « daigner ».

Notes

[1Saint-Paul est régisseur à la Comédie-Française.

[2Automédon : Conducteur du char d’Achille. Par métonymie, cocher ou écuyer habile.

[3La loge K est la loge habituelle de Hugo à la Comédie-Française.

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