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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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26 janvier [1838], vendredi après midi, 2 h. ¾

Bonjour, mon cher adoré, comment vas-tu ? Moi je ne me ressens de rien, sinon que j’ai une courbature et encore mal à la tête, ce qui n’est rien en comparaison de ce que cela aurait pu être, et nous sommes bien heureux d’en avoir été quittes pour la peur. Il paraît que vous ne tombez que quand vous versez, c’est toujours bon à savoir. Je t’aime, mon grand Toto, je t’aime tous les jours davantage, cela n’est pas possible et cela est cependant, sans que je sache moi-même comment cela se fait car du premier jour où je t’ai connu je t’ai aimé autant qu’à présent. C’est bien vrai, mon adoré. Je ne me lasse pas de te dire cela, et je crains que tu ne t’ennuies à l’entendre. Je ne suis pas sûre de ton amour comme du mien. Et puis je sais si mal exprimer ce que je sens si bien que pour une autre que moi ce doit être bien bête et bien ennuyeuxa. Et je t’aime tant, et je te sais si dévoué, et j’ai tant le désir de te plaire. J’ai été bien inquiète de ta soirée, hier, mon cher petit homme, et quoique je me doutasse où tu étais, je n’en étais pas plus rassurée. Le petit accident de cette nuit, le plaisir de te voir m’ont fait oublierb que j’avais à te demander quelles étaient les femmes qui avaient dîné chez Salvandy et celles à qui vous avez parlé. Mais vous ne perdrez pas pour attendre, je vous réserve un fameux interrogatoire auquel il ne vous sera pas difficile de répondre si vous n’êtes pas sincère. Je vous attends, mon Toto, avec bien de l’impatience. Je reste au lit pour me dorloterc un peu, j’ai très mal à la tête et je suis toute courbaturée, et puis je veux aller demain à Hernani [1]. Je vais envoyer chez Mme Guérard pour lui demander si elle peut venir demain, autrement j’irai avec Suzette. Jour, Toto, jour, mon petit o. Je t’adore, à tout à l’heure, n’est-ce pas ? Je t’aime tant.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16333, f. 19-20
Transcription de Nathalie Gibert-Joly assistée de Gérard Pouchain

a) « ennuieux ».
b) « oublié ».
c) « dorlotter ».


26 janvier [1838] vendredi soir 5 h. ¾

Chère âme si je ne consultais que mes forces je ne t’écrirais qu’un mot, mais j’ai mon cher petit tyran qui me fera remplir toute cette feuille de papier sans en passer une ligne, ce tyran-là s’appelle AMOUR. Je vais bien me soigner pour être demain soir tout à mon Hernani [2]. Soyez jaloux si vous voulez, mais je vous ai donné pour rivaux tous les beaux [3] de votre pièce et d’ailleurs j’ai ma justification toute prête et puis c’est votre cor c’est comme votre voix [4], vos beaux vers, c’est comme toute votre adorable personne. Je dis bien mal toutes les belles pensées d’amour qui m’oppressent le cœur. Ce n’est pas ma faute si l’esprit est bête quand le cœur est si plein d’amour et de poésie. Et puis je suis très souffrante ce soir, et si ça n’empêche pas d’aimer ça empêche du moins de le dire aussi bien. Mon adoré, je vais prendre mon bain de pieds. Je n’en puis plus et pour peu que cela dure encore une heure je serai stupide incurable. Tu m’as promis de venir tout de suite, j’y compte. Ce serait bien mal de me tromper dans un moment comme celui-ci où j’ai tant besoin de ta vue pour me donner du courage et pour me faire oublier les cent et une douleursa qui me lardent, me tiraillent et m’assomment dans tous les sens.
À tout à l’heure donc. Quand tu liras ceci, il sera tard, tu auras froid, et moi je penserai à cela avec tristesse et regret car je voudrais réchauffer tes pieds avec mes baisers, tes lèvres avec mon sourire.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16333, f. 21-22
Transcription de Nathalie Gibert-Joly assistée de Gérard Pouchain

a) « douleur ».

Notes

[1Hernani est repris à la Comédie-Française les 20, 23, 25, 27, 29 et 31 janvier et les 6, 9, 12, 18, 21, 23 février.

[2Hernani est repris à la Comédie-Française les 20, 23, 25, 27, 29 et 31 janvier et les 6, 9, 12, 18, 21, 23 février.

[3Sauf si Juliette Drouet a oublié un substantif dont « beaux » serait l’adjectif épithète, on peut comprendre qu’elle désigne par le substantif « beaux » les beaux personnages masculins de la pièce.

[4Citation d’Hernani, acte V, scène 3, v. 1986.

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