28 juillet 1870

Guernesey, 28 juillet, [18]70, jeudi soir, 4 h.

Ce n’est pas faute de me lever matin que je t’écris si tard, mon cher adoré, mais bien parce que je suis une vieille gan-gan qu’un rien déconcerte, déroute et désheure^a. L’incident de ce matin, entre autres^b, m’a tellement étonnée et dégoûtée que j’en ai eu pour toute la matinée à laver, à repasser et à maugréer. Enfin, j’en suis venue à bout et ma philosophie a repris le dessus. Je me demande seulement qu’elle sera la nouvelle immonde niche qu’on fera aujourd’hui pour me préparer d’avance à la patience. Mais il faudrait avoir une imagination ad hoc pour la deviner, aussi j’y renonce. J’aime mieux penser à toi, à Petit Georges et à Petite Jeanne que je bénis, que j’aime et que j’adore. Tout à l’heure j’écrirai à mon neveu [1] ainsi que tu me l’as permis. Peut-être le besoin de retrouver au plus tôt sa petite femme et ses petits enfants lui aura-t-il fait trouver un truc pour se rendre sans danger à Iéna. Dans tous les cas, la politesse sera faite et je te réponds d’avance, quelles qu’en soient^c les suites, que tu n’auras pas à t’en repentir [2]. Il ne peut guère arriver avant le 10 août, s’il vient, et il couchera dans le lit de Suzanne qui le lui prêtera avec plaisir, dût-elle coucher au grenier pendant tout son séjour. Donc tout est bien si tu le trouves bon et si tu m’aimes.

BnF, Mss, NAF 16391, f. 205
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette

a) « désheurre ».
b) « entr’autre ».
c) « quelqu’en soit ».