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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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28 novembre [1839], jeudi, midi ½

Bonjour, mon cher bien-aimé, bonjour, mon adoré. Comment vas-tu, mon cher petit homme ? Je me suis levée bien tard, mon adoré, et encore je ne pouvais pas me réveiller ; je ne sais pas pourquoi car j’ai bien dormi toute la nuit. Malheureusement je ne peux pas dormir pour toi et je suis furieuse contre moi de dormir pendant que tu travailles, ce n’est pas juste. À propos, il paraît qu’hier on a apporté au portier de la petite une lettre au prénom de Juliette. Le portier l’a refusée ce matin, le facteur l’a rapportée pendant que je dormais et Suzanne l’a refusée à son tour sous prétexte que je m’appelle Julie et non Juliette. Du reste, je viens de faire donner l’ordre au portier de la réclamer au facteur. Je pense que c’est Pradier qui nous fait cette stupidité parce que je n’attends de lettre que de lui [1] et qu’il n’y a que lui qui ait l’habitude de m’écrire sous de prénom malgré la défense que le lui en avais faite : tu sais ? Au reste, il sera stupide jusqu’au bout. Jour, mon Toto chéri. Jour. Toutes tes petites tisanes sont prêtes. Il fait bien beau aujourd’hui et nous devrions bien tâcher de sortir un peu, ne fusse que pour aller voir les ARMOIRES car enfin si c’est une occasion il serait absurde, vub le besoin que nous en avons, de n’en pas profiter. Je vous aime, mon Toto. Je vous adore, mon petit homme. Je voudrais bien te voir, mon cher bijou. J’ai besoin de ta chère petite bouche pour la baiser. J’ai besoin de tes yeux pour me réjouir. J’ai besoin de ton haleine pour me parfumer. J’ai besoin de ton amour pour vivre. Viens vite, viens vite, je t’attends. Je t’aime, je te désire et je t’adore. Voilà le soleil. Oui, vraiment, c’est du soleil. D’où nous vient-il, ami ? Seigneur, on habite le doux pays de France et ce n’est pas trop que d’apercevoirc 7 fois par an le bout du nez du soleil. Voime, voime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16340, f. 101-102
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « tisannes ».
b) « vue ».
c) « d’apercevoir ».


28 novembre [1839], jeudi soir, 5 h.

Quoique tu aies eu la bonne pensée de revenir, mon doux ami, et que nous soyons très bien ensemble, j’espère que je te reverrai avant 11 h. du soir comme tu m’en avais menacée ? J’ai encore du noir dans l’âme et je suis sûre qu’un baiser de toi me l’ôterait tout à fait ; aussi, je te désire avec impatience et amour. Je ne sais pas si tu me feras une SCENE mais j’ai réarrangéa, sans le secours du serrurier, mes sonnettes qui n’allaient pas, elles vont maintenant. Si tu ne trouves pas cette action NATURELLE je me soumets d’avance à toutes les conséquences qui en peuvent résulter sachant bien qu’après la nuit vient le jour, après la pluie, le brouillard, et après la brouille le raccommodement. Je sais aussi qu’on peut faire une nuit factice et éternelle, il suffit pour cela de vous jeter dans une chambre sans porte ni fenêtre, autrement dit au cachot ou bien encore de nier l’amour le plus vrai et le plus loyal qui ait jamais existé. De cette manière onb trouve moyen de faire la nuit en plein soleil et de la tristesse en plein amour. C’est ce qui t’arrive fréquemment avec moi mais chut, ne réveillons pas les chagrins endormis depuis tantôt, c’est bien assez de se résigner quand ils arrivent sans les avoir provoqués ni mérités. Tu as de quoi souper, mon Toto chéri. Ainsi tu peux venir sans crainte et avec appétit. J’aurai de la joie dans les yeux, des côtelettesc et des pommes au beurre dans mon buffet et de l’amour plein mon cœur et plein mon âme. J’attends la couturière aujourd’hui, elle n’est pas venue, la scélérate. Il est probable qu’elle saisira, avec à propos, le jour où je serai chez la mère Pierceau, pour venir. Quel bonheur ! Baisez-moi, aimez-moi et prenez garde aux voitures tout de même.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16340, f. 103-104
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « rarrangé ».
b) « ont ».
c) « cotellettes ».

Notes

[1La lettre de Pradier remercie Hugo de s’intéresser aux statues qu’il prépare pour la Fontaine Molière. La Fontaine Molière, édifiée en 1844, rue de Richelieu, en face de l’ancienne maison de Molière, fut financée sur souscription nationale. La statue centrale de bronze est l’œuvre de Bernard-Gabriel Seurre. James Pradier est l’auteur des deux statues latérales La Comédie légère et La Comédie sérieuse. Pradier écrit à Juliette pour lui demander de remercier Hugo qui a accepté de venir voir ses esquisses : « Veuillez, je vous prie, lui faire de ma part mille remerciements de sa bonne volonté à m’aider dans le choix de mes compositions. Je connais J. Janin, Planche, etc., mais V. H., celui-là, je le préfère. Je suis en train de faire mes esquisses en terre. Aussitôt faites, j’aurai le plaisir de vous écrire pour l’avertir et le prier de venir les voir. » (James Pradier, Correspondance, t. II, édition citée de Douglas Siler, p. 194).

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