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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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10 novembre [1836], jeudi matin, 11 h. ¼

Bonjour, toi, que j’aime plus que tout au monde, bonjour. J’espère que tu te seras couché, hier en me quittant ; car après avoir lu, relu et baisé les admirables choses que tu as écritesa cette nuit, je pensais avec angoisse à ta pauvre tête fatiguée, à tes chers petits pieds froids, et j’aurais voulu savoir que tu avais eu la raison de prendre quelque repos, content du nouveau chef-d’œuvre que tu venais de créer [1]. Dieu lui-même s’est reposé quoiqu’il fût plus fort que toi et que tu sois aussi GRAND que lui.
J’ai très peu dormi cette nuit et j’en suis ravie parce que j’ai pensé à toi autant que j’ai voulu, parce que j’ai compté mot à mot toutes les merveilles que je savais de toi, enfin parce que j’étais trop heureuse et trop RICHE pour dormir. Quand on possède des trésors, on ne dort plus, c’est comme cela.
Vous ne vous plaindrez pas de ma parcimonie en amour. Il me semble que je vous donne la bonne mesure en GRAND FORMAT. Il est vrai que l’amour en [parole  ?] seulement, est commun comme : bonjour, mais l’amour vrai est le plus rare oiseau de ce monde. Moi, je possède cette rareté dans une cage telle quelle. C’est un cœur tout à toi, qui ne chante que pour toi, qui n’a de joie qu’en toi, qui ne vit que de toi, qui ne bat que pour toi.
Mon cher petit homme bien aimé, j’ose à peine espérer que tu viendras ce matin. J’ai cependant fait acheter le déjeuner comme si j’étais sûre de ce bonheur-là, mais c’est une illusion qui commence à se passer et je crains bien d’en être pour mes frais de désirs.
Quoi qu’il en soit, je t’aime, je t’adore. C’est bien vrai et tu peux croire ce que je te dis parce que c’est la sainte vérité. Je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16328, f. 116-117
Transcription de Claudia Cardona assistée de Florence Naugrette

a) « écrit ».


10 novembre [1836], jeudi soir, 4 h. ¾

Méchant petit homme, vous n’êtes pas venu déjeuner avec moi. Et pourquoi n’êtes-vous pas encore venu me voir ? Vous craignez de me donner trop de bonheur à la fois ? Mais je vous assure que je suis trop ROBUSTE pour cela, et que vous pourrez m’en donner autant que vous voudrez sans me faire succomber.
J’ai vu beaucoup de monde, pour moi, qui ordinairement ne voit que mon chat. J’ai vu le mari de [illis.], j’ai vu Gérard [2], j’ai vu la propriétaire, je n’ai pas vu mon cordonnier parce qu’il était trop matin quand il est venu. Je te raconterai en détail tout ce qui s’est dit, l’écrire ce serait trop bête. Ah ! J’oubliais, et une lettre que Mme Krafft [3] a apportée elle-même chez le portier, je ne l’ai pas décachetée mais je me doute de ce qu’elle contient. J’ai envoyé la bonne chez [Turlot  ?], la robe devant être prête aujourd’hui.
Enfin j’ai copire les merveilleux vers de mon grand Toto et puis j’ai étudié [4], ce qui fait que je n’ai pas perdu une minute et que je n’ai pas encore allumé mon feu. Tout ce que je vous dis là n’a pas une grande importance absolument. Mais cela vous prouve, mon cher petit homme chéri, que je ne fais rien sans penser à vous, que vous êtes mon unique préoccupation, mon seul culte, et mon cher petit Toto adoré.
Maintenant, mon petit homme bien aimé, je vous attends, je vous désire de tout mon cœur. Faites votre possible pour être très tôt à portée de mes baisers et vous verreza comme je vous en donnerai des fameux.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16328, f. 118-119
Transcription de Claudia Cardona assistée de Florence Naugrette

a) « verrai ».

Notes

[1Hugo a écrit le poème « Soirée en mer », qui paraîtra dans Les Voix intérieures (17).

[2La modiste.

[3Laure Krafft est la meilleure amie de Juliette Drouet.

[4Juliette apprend le rôle de Marion de Lorme.

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