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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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8 novembre [1836], mardi midi, 10 h.

Cher adoré, c’est pour vous rabibocher des douze ou quinze lettres que je vous ai brûlées hier que je vous écris celle-ci en plus. Ne les regrettez pas, mon amour, je vous mettrai dans cette seule lettre tout ce que contenaient les autres [1].
Je t’aime mon Victor bien aimé, je t’aime bien. C’est aussi ce que je te disais dans les pauvrettes incendiées. C’est ce que je te dirai jusqu’à la mort, quoi qu’il arrive, car je sens bien que je t’aime pour toute ma vie. Il est tard, peut-être ne viendras-tu pas déjeuner. Ce serait une punition ajoutée au chagrin d’hier. Je le supporterai comme telle, mais je n’en serai que plus triste encore.
Aime-moi, mon pauvre ange, aime-moi, pour tout le mal que je te fais, pour tous les sacrifices que je t’impose. Sois sûr que si je t’aimais moins, je serais beaucoup plus charmante, et que si je ne t’aimais pas, je n’accepterais pas ton sang, ta vie et ton repos comme je le fais.
À bientôt si tu peux. J’ai bien besoin de me faire pardonner.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16328, f. 102-103
Transcription de Claudia Cardona assistée de Florence Naugrette


8 novembre [1836], mardi après-midi, 4 h.

Cher bien-aimé, vous voyez que je ne demande pas mieux que de vous remplacer toutes vos lettres, au train dont je vais. C’est moi qui me porte compagnie d’assurance en cette occasion, quoique je ne sois pas le Phénix, mais bien la Salamandre, attendu que je vis très bien dans un foyer d’amour.
Je suis atrocement contrariée que ce hideux M…. [2] t’ait empêché de rester avec moi, et tout cela pour rien, puisqu’il n’a pas encore envoyé chez moi et qu’il est probable qu’il n’enverra pas, que le diable l’emporte avec toutes sortes de malédictions.
Mon cher petit homme, il est clair comme le jour, en supposant que nous sommes en été, que vous ne m’aimez plus parce que si vous m’aimiez, vous me trouveriez très jeune, très spirituelle très jolie et ne sentant que l’amour que je prisea plus que ma vie. Maintenant que je vous ai démontré la vérité de mon assertion, que voulez-vous que je vous fasse, hein ? Faut-il vous tuer ? Non, vous mutiler ? OUI !
Je repasse mon couteau pour m’en servir quand vous passerez.
En attendant je vous baise humblement le bout de vos grosses BAUTTES et suis pour la vie votre féroce Juju.

BnF, Mss, NAF 16328, f. 104-105
Transcription de Claudia Cardona assistée de Florence Naugrette

a) Augmentation progressive du nombre de soulignements : « jeune » souligné une fois, « spirituelle » deux fois, et ainsi de suite jusqu’à « prise » souligné cinq fois.


8 novembre [1836], mardi soir, 4 h. ¼

Il fait hideusement froid, je ne veux allumer de feu que lorsque tout sera fini dans ma maison, pour ne pas faire un double emploi inutile. Je vous prie néanmoins, mon cher petit homme, de croire que je ne grelotte qu’à l’extérieur et que mon cœur est aussi chaud que mes pieds sont froids, et je vous réponds que la comparaison n’est pas hors de saison.
Ha ! ça, parlons peu et parlons bien, je vous aime. Quand je vous le dirais autant de fois qu’il y a des grains de sable dans la mer et d’imbéciles sur la terre, je ne serais pas encore au bout de mon rouleau, attendu que j’ai plus d’amour qu’aucune parole ni qu’aucun chiffre ne pourrait désigner.
Si vous êtes très gentil, mon petit homme bien aimé, vous tâcherez de venir dîner avec moi, vous me ferez sortir un peu car vraiment je commence à croire qu’il me pousse des champignons dans la tête, ce qui accommode trop bien ma cervelle.
Vous voilà, je suis bien aise. Je vous baise mille fois des yeux.

J.

BnF, Mss, NAF 16328, f. 106-107
Transcription de Claudia Cardona assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Il est déjà arrivé par le passé que Juliette, dans un accès de colère ou de désespoir, brûle ses lettres en souffrance ou celles que Victor Hugo lui a adressées.

[2Peut-être Manière.

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