29 octobre 1860

Guernesey, 29 octobre 1860, lundi matin, 8 h.

Bonjour, mon cher petit matinal, bonjour, bonheur, soleil, amour, bonjour. D’où vient que vous êtes déjà sur pied, mon cher petit homme ? Est-ce que vous avez quelque rendez-vous à l’horizon ? Ou bien est-ce tout BÊTEMENT pour mieux travailler à vos sublimes Misérables [1] ? Ou bien encore, hélas ! Est-ce que, comme moi, vous n’avez pas dormi de la nuit et que le lit vous est devenu une fatigue ? Mais je vais le savoir tout de suite car je t’entends : tu frappes, tu entres, tu parles à Suzanne, tu baignes tes chers yeux adorés et je descends laissant la fin de ma restitus pour un autre moment.

9 h. ¼

Pendant que tu allumes de nouvelles étoiles dans le ciel de la poésie et que tu crées de nouveaux soleils pour la pensée humaine, moi je t’aligne^a mes petites pattes de mouche^b à la queue leu-leu, tirant à grand peine derrière elles toutes les tendresses de mon cœur [et ?] en perdant la moitié dans les fondrières des pataquès, et laissant mes pauvres baisers accrochés aux buissons de la grammaire. Mais, quelles que soient pour mon amour les difficultés de la route, il ne se rebute jamais et c’est toujours avec une nouvelle ardeur qu’il enfourche ma rétive restitus, dût-elle en crever à la porte de ton cœur. Quelle belle, belle matinée, mon cher adoré, et qu’il serait bon d’aller à la chasse des coffres ou, ce qui vaut mieux encore, d’errer bras dessus bras dessous tantôt dans la campagne. Penses-y et tâche de nous donner [illis.].

BnF, Mss, NAF 16381, f. 283
Transcription d’Amandine Chambard assistée de Florence Naugrette

a) « alligne ».
b) « mouches ». -