6 août 1860

Guernesey, 6 août 1860, lundi matin, 7 h. ½

Bonjour mon cher bien-aimé, bonjour, tout en cœur et tout en âme ; bonjour. As-tu passé une bonne nuit, mon cher petit homme ? Tu as ouvert ta fenêtre de bonne heure sans que j’aie eu le plaisir de t’entrevoir mais j’espère que tu vas bien et que je te verrai bientôt. En attendant je t’aime avec un redoublement de tendresse pour effacer le souvenir de notre triste scène de l’autre soir [1]. Plus j’y pense et plus je la déteste et plus je m’en veux de m’y être laissée aller. Pardonne-moi encore, mon cher adoré, pardonne-moi pour toi et pour moi car je sens de plus en plus combien j’ai été injuste et odieuse, c’est toi qui l’as dit, sinon en réalité au moins en apparence. Mes reproches quand je t’en fais ne portent jamais sur les choses fondamentales de ta conduite si admirablement généreuse et si religieusement dévouée pour moi, mais sur des détails que tu n’as pas le temps de voir et qui existent cependant assez pour causer de la gêne et de l’ennui dans le train-train de la vie. J’ai le tort de te le faire remarquer avec impatience et irritation mais j’en suis bien punie par les regrets qui suivent et qui persistent dans mon pauvre cœur longtemps après que tu m’as pardonné. Ce matin encore je t’écris l’âme toute triste du souvenir pénible d’avant-hier. Je voudrais pouvoir baiser tes pieds. Je sens que j’ai été coupable plus que je n’ose me l’avouer à moi-même et pourtant Dieu sait si je t’aime et si tu n’es pas l’objet constant de mon admiration et de ma vénération. Cher adoré pardonne-moi encore, pardonne-moi toujours.

BnF, Mss, NAF 16381, f. 206
Transcription d’Amandine Chambard assistée de Florence Naugrette