29 mai 1868

Guernesey 29 mai [18]68, vendredi matin, 7 h.

Où en es-tu de ta nuit, mon cher bien-aimé ? Est-ce que l’orage ne t’a pas empêché de dormir ? Voilà ce que je voudrais savoir pour me consoler de mes quelques heures d’agitation et d’insomnie. J’ai cependant dormi trois heures sans interruption depuis onze heures jusqu’à deux, ce qui est bien quelque chose. J’espère que je dormirai mieux la nuit prochaine. Je m’aperçois avec regret que l’orage n’a pas diminué la passion de Gavroche pour les pauvres petits oiseaux, à en juger par l’ardeur avec laquelle il les guette et il les poursuit jusqu’à l’extrémité des arbres malgré mes cris et mes menaces. Qui est-ce qui aurait dit que ce petit Belge si doux et si timide dans le cabas de Suzanne deviendrait d’une humeur si féroce et si massacrante ici ? Si je l’avais su, je l’aurais laissé dans son pays de Brabant avec ses souris et ses rats de cave. Une autre fois, j’y regarderai à deux fois avant de rapporter des tigres étrangers dans mes domaines domestiques. Tout ce gribouillage est peut-être un peu trop tiré de la queue de mon chat. Cela tient à ce qu’il l’a plus longue que mon esprit. Si cette excuse vous paraît mauvaise, ne vous gênez pas pour me le dire parce que j’ai de quoi me défendre : JE T’ADORE. Qui est-ce qui bisque ?

BnF, Mss, NAF 16389, f. 149
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette