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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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28 mars 1842

28 mars [1842], lundi matin, 10 h. ¾

Bonjour mon Toto bien aimé, bonjour mon amour chéri. Bonjour, mon cher petit taquin. Comment que ça va ? Vous êtes bien venu ce matin, n’est ce pas ? Voime, voime, fort empressé, à côté il y a de la place. Il est même raisonnable à moi de ne compter sur vous que le 25 du mois prochain [1]. Ce sera plus sage et moins cartonnant pour mon pifa [2]. Taisez-vous, vilain monstre d’homme. Si j’osais, je me mettrais dans des rages sterlings, mais je sais que loin de vous attirer à moi cela vous fait fuir à toutes jambesb, alors je rengaine ma fureur, mais pareille à l’oie du Normand [3] je n’en pense pas moins de votre indigne conduite. Si vous étiez mon fils au lieu d’être mon amant, je vous flanquerais des piles [4] soignées, vous pouvez vous en flatter. Vous ne me ferez pas sortir encore aujourd’hui, vilain Toto. Il est vrai que le temps vous en donne le droit, pour cette fois je veux bien le reconnaître, mais au premier rayon de soleil je vous somme de me faire sortir.
Ce soir vous pourrez emporter la maison de Dédé [5] et sa marquise. Ce que je vous en disais hier n’était que par purc enfantillage. Du reste, l’exposition sera terminée aujourd’hui de toute façon, soit qu’on vienne soit qu’on ne vienne pas. Au fait, si je la gardais pour moi, la maison, je n’aurais pas de Luillier à paillerd [6] et ça m’irait joliment bien. J’ai bien envie d’user de ce stratagème pour FRUSTER Dédé de son établissement. Rassurez-vous Dédé, je suis pauvre MAISONNETTE [7]. Baisez-moi vous et tâchez de faire TOUS vos devoirs envers moi un peu mieux que vous ne le faites depuis trop longtemps. Baisez-moi, monstre.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16348, f. 207-208
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette

a) « piff ».
b) « toute jambe ».
c) « pure ».
d) « paillier ». 


28 mars [1842], lundi soir, 11 h.

Encore une avanie dans ma maison, mon pauvre bien aimé, avanie que je pressentais et que je prévoyais depuis longtemps et qui vient d’avoir lieu à l’instant. Ma servante vient de me déclarer positivement qu’elle voulait s’en aller demain par la diligence. Cette déclaration avait été préparée par une feinte maladie dont je n’étais qu’à moitié la dupe [8] et par une humeur des plus grossières et des plus intolérables depuis la lettre arrivée de son pays avec les couteaux [9] dans laquelle on lui mandait que sa jeune sœur se mariait les premiers jours d’avril. Depuis lors, moitié jalousie, moitié désir de danser à la noce et enfin ingratitude hideuse et stupide, cette affreuse fille a préféré me donner son compte que de me le demander honnêtement comme c’était son devoir. Tout cela ne serait rien dans une autre position que la mienne et même je t’avoue que je ne regretterais pas la susdite créature et son service s’il ne s’agissait pas de notre intérieur et de la difficulté pour nous de nous procurer une servante quelconque. Enfin il faut accepter cet ennui là comme tous les autres et dans toute autre occasion je ne t’occuperais pas de pareilles rapsodies. Si tu m’aimes, mon Toto, c’est tout ce qu’il me faut, le reste n’est rien que par rapport à toi. Baise-moi mon adoré et viens cette nuit malgré la cacafouillade de cette fille, car je lui ai déclaré de mon côté que je ne lui payeraia son mois que dans huit jours. Ainsi que cela ne t’arrête pas. Je t’aime mon Toto.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16348, f. 209-210
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette

a) « payerais ».

Notes

[1Date de ses prochaines règles. La mention de ses cycles est une manière de reprocher à Hugo son manque d’investissement dans leur relations intimes dernièrement et de réclamer un changement avant la prochaine période d’indisposition.

[2Nez de carton.

[3À élucider.

[4Volée de coups.

[5Dessin effectué par la fille de Juliette, Claire Pradier (lettre du 22 mars).

[6À élucider.

[7Citation de L’Indigent de Louis-Sébastien Mercier, qui revient à plusieurs reprises sous la plume de Juliette et devient même l’objet d’un jeu de mots : « Je suis pauvre maisonnette, curieuse et discrète, ce dont j’enrage de toutes mes forces ». Rémi, refusant de laisser corrompre sa fille, répond à De Lys : « Que direz-vous, Monsieur ? Parlez, achevez votre ouvrage ; poignardez le cœur d’un père ; osez le corrompre pour faire une infâme de sa fille. Je suis pauvre, mais honnête ; je n’ai jamais rougi de l’infortune, mais je me sens humilié de l’idée que vous avez conçue ; et de quel droit comptez-vous me rendre votre complice ? » (Remerciements à Chantal Brière).

[8Dans sa lettre de la veille au matin, Juliette disait s’inquiéter pour Suzanne qui était souffrante : « Suzanne est décidément malade, elle pleure cette pauvre fille et dès qu’elle aura pu avoir du raisin je l’enverrai coucher. » Et dans une seconde lettre dans l’après-midi, elle s’était étonnée que sa servante ait préféré aller à l’église que de rester couchée.

[9Lettre du lundi 21 mars : « Enfin et pour clore l’énumération, le messager de Suzanne a apporté les six couteaux que j’avais commandés il y a trois mois, ils sont très beaux et très forts et on me les garantit bons. »

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