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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Guernesey, 30 juillet 1858, vendredi, 7 h. du matin

Bonjour, mon grand garçon bien aimé, bonjour, de la tête aux pieds, puisque vous êtes en état de le recevoir, avec tous les honneurs qui lui sont dus, malgré les petites honteuses protestations de vos petits bobos attardés. Je sais, par les cent voix de la publicité, que vous avez dîné à la table et que vous y avez tenu cercle pendant deux heures. Je m’en réjouis de tout mon cœur en attendant que vous me jetiez quelques bribes de cette belle santé là par votre fenêtre, ô mon roi. Je vous recommande néanmoins beaucoup de prudence dans les premiers moments de votre convalescence, mon cher bien-aimé, même au prix de quelque impatience et d’un peu d’ennui. Très sérieusement, mon cher bien-aimé, tu feras bien de ne pas passer trop vite de ton lit de malade sur la chaise de l’amphitryon. Ceci dit, dans ton intérêt seul, je reprends mes habitudes d’amour et de résignation et je vais me dépêcher de te faire de la charpie dans le cas où tu en aurais besoin aujourd’hui. Je t’aime.

BnF, Mss, NAF 16379, f. 190
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette


Guernesey, 30 juillet 1858, vendredi midi

Encore un peu de patience, mon cher bien-aimé, et tu ne souffriras plus du tout, c’est le bon docteur qui l’affirme. Rosalie est venue pendant qu’il était encore chez moi, lui faire faire une ordonnance qu’il avait oubliée. Je lui ai demandé par la même occasion, à Rosalie, si tu ne souhaitais rien de chez moi et si tu avais encore du raisin. Elle m’a dit que tu ne lui avais rien dit à ce sujet. J’espère voir Quesnard tantôt et lui renouvelera la même question. Du reste, je sais que tu es accablé de soins et de câlineries qui ne te laissent rien à désirer. Je me résigne donc de mon mieux à ma bonne volonté inutile. Cependant, et pour ma propre satisfaction, je vais monter te faire de la charpie dans mon lucoot. Peut-être aurais-je la chance que tu viennes sur ton balcon comme hier, ce qui me donnera un peu plus de courage et de patience pour attendre le jour où tu pourras venir me trouver. Jusque-là, mon bien-aimé, soigne-toi bien et pense à moi si tu le peux sans te fatiguer.

BnF, Mss, NAF 16379, f. 191
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette

a) « renouveller ».


Guernesey, 30 juillet 1858, vendredi, 2 h. après-midi

Kesler vient de me dire que tu vas descendre au jardin tout à l’heure, mon bien-aimé, ce qui me prouve que tu vas toujours de mieux en mieux et que tes forces reviennent au galop. Je n’espère pourtant pas te voir avant deux ou trois jours à cause de la nécessité absurde de te vêtir pour traverser la rue, mais la pensée que tu ne souffres plus après les angoisses poignantes que j’ai eues tout le temps de ta maladie me font paraître le temps de ta convalescence facile à supporter relativement. Soigne-toi, mon adoré, prends tout le temps de te guérir à fond. De mon côté, je te promets d’avoir toute la patience qu’il faudra. J’ai envoyé Suzanne en vigie dans le lucoot pour m’avertir dans le cas où tu te montrerais pendant que je te gribouille mes tendres rabâcheries et mes recommandations inquiètes. Justement Suzanne m’a appelée au moment où j’allais te donner mon âme dans un baiser. Je t’adore. J’envoie acheter du raisin, tu l’auras tout à l’heure, manges en le plus que tu pourras, cela ne peut que te faire du bien.

BnF, Mss, NAF 16379, f. 192
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette


Guernesey, 30 juillet 1858, vendredi 8 [illis.]

Il m’a semblé que tu souffrais beaucoup, mon cher adoré, pendant que tu étais assis sur ton banc, mais Kesler m’assure que tu trouves ta journée bonne, ce qui fait que je me tourmente moins. J’espère aussi que la bévue de Rosalie mettant du laudanum à la place d’extrait de Saturne [1], n’aura pas de conséquences fâcheuses. Mais, mon adoré, cela ne prouve qu’il ne faut pas t’en rapporter tout à fait [à] elle pour l’administration des médicaments. Heureusement que tu touches à la fin de toute souffrance et de toute médicamentation [sic] et que tu auras bientôt plus besoin de côtelettesa que de cataplasmes. En attendant ce bien heureux jour tant désiré, il faut tâcher de ne pas laisser à Rosalie seule le soin de te panser. Mon pauvre bien-aimé, quelle douceur pour moi de te voir après quinze grands jours d’absence et d’inquiétude mais en même temps quelle tristesse de ne pouvoir pas t’approcher pour te servir, pour te baiser, pour te sourire, pour te guérir, et pour t’adorer ? Quand donc pourrai-je prendre [tes ?] mains dans les miennes, mettre mes baisers sur ta bouche et mon âme dans ton âme ? Prions ensemble ce soir, mon bien-aimé, pour que ce soit bientôt. Pour commencer, dors bien cette nuit mon doux adoré.

BnF, Mss, NAF 16379, f. 193
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette

a) « cotellettes ».

Notes

[1Extrait de Saturne : dissolution de sous-acétate de plomb, utilisé en lotions, en fomentations, en injections, en cataplasmes, dans les cas d’erysipèles, de piqûres d’insectes, de dartres, et dans le traitement des contusions et plaies, des ulcères, des tumeurs, etc., ainsi que comme cosmétique. Voir lettre du 29 juillet, jeudi soir, 8 h., f. 189.

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