Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1858 > Juillet > 25

Guernesey, 25 juillet 1858, dimanche matin, 7 h.

Bonjour, mon doux bien-aimé, bonjour avec l’espérance et le désir ardent de te voir bientôt puisque, grâce à Dieu, tu vas chaque jour de mieux en mieux. Le citoyen Kesler me disait même hier au soir que tu serais en état de faire acte de présence mercredi à notre cher petit dîner hebdomadaire, mais mon cœur ne s’est pas laissé prendre à cette espérance trop hâtive. Il sent à travers son impatience tous les ménagements et toutes les précautions que demandera ta convalescence et il s’y résigne d’avance, trop heureux de faire ce dernier sacrifice à ta chère santé, c’est-à-dire à sa vie même. Quant à moi, mon adoré bien-aimé, il me serait impossible de songer à prendre aucune distraction sans toi. Ma pensée, mon corps, mon âme se complaisent dans le deuil doux et triste de ton absence. Hors de là, tout m’est insupportable. J’espère que tu as passé une bonne nuit, mon cher bien-aimé, mais je n’en serai tout à fait sûre que lorsque le bon Docteur me l’aura affirmé. En attendant, je viens de ramasser tout à l’heure un œuf tout frais pondu pour ton déjeuner. Je te l’enverrai en même temps que le bouillon et le raisin. Que ne puis-je t’envoyer en même temps mes forces, mon cœur et ma vie pour en faire de la santé. Je t’aime.

BnF, Mss, NAF 16379, f. 170
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette


Guernesey, 25 juillet 1858, dimanche midi

Cher adoré, que le bonheur et les bénédictions de Dieu t’arrivent en même temps que la santé à laquelle tu touches enfin après tant de souffrances. Le docteur était rayonnant ce matin de ton propre rayonnement car il paraît que ton état général est des plus satisfaisantsa. Tu penses si je suis la dernière à me réjouir de la bonne nouvelle, mon pauvre trop aimé. Cependant, il n’est pas probable que je puisse te voir avant la fin de la semaine car il te faudra le temps de reprendre tes forces et l’usage de tes jambes. Mais j’aurai du courage et de la patience, je l’espère, autant qu’il en faudra pour attendre que tu puissesb venir en toute sécurité. Jusque-là, je me fais de la résignation avec les bonnes nouvelles qu’on m’apporte plusieurs fois dans la journée car tout le monde est très bon pour moi depuis l’affreux jour où tu es resté chez toi. Kesler vient deux et quelquefois trois fois par jour. Mlle Allix presque tous les jours, les Marquand et les Préveraud quelquefois et le bon docteur tous les matins régulièrement. C’est surtout son bulletin qui me tranquillise et me donne du courage. Puis je t’aime de toute mon âme.

BnF, Mss, NAF 16379, f. 171
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette
[Souchon]

a) « satisfaisant ».
b) « puisse ».


Guernesey, 25 juillet 1858, dimanche, 2 h. après-midi

Pour la première fois depuis que tu es chez toi tout à fait, mon pauvre bien-aimé, l’ami Kesler manque d’exactitude envers moi. J’espère que cela ne veut rien dire de fâcheux pour toi, mais seulement qu’il est occupé à suer pour quelque autre petit coche de sa connaissance. En attendant, tu n’as pas ton raisin que je n’ai pas pu donner à Rosalie non plus que ton œuf qu’elle a carrément refusé sous prétexte que le docteur t’en a apporté hier au soir. Peut-être son refus était-il motivé par la présence du docteur qui se trouvait là quand elle est venue. Cette délicatesse et cette intelligence lui feraient honneur dans ce cas-là. Mais j’ai grand peur que ce ne soit que pur et stupide entêtement de la part de cette laide créature qui ne veut pas comprendre qu’il vaut mieux donner la préférence à un œuf frais pondu le matin sur celui de la veille surtout quand il n’en coûte rien. Je comptais sur Quesnard pour réparer cette petite anicrochea mais jusqu’à présent je ne le vois pas venir. On frappe justement, c’est lui. Cher adoré, je t’envoie ta petite ration pour aujourd’hui plus mon âme pour toujours.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16379, f. 172
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette

a) « ce petit anicroche ».


Guernesey, 25 juillet 1858, dimanche soir, 16h.

Suzanne revient de chez toi, mon bien-aimé, avec d’excellentes nouvelles de toi. Tu vas de mieux en mieux, mon pauvre adoré, grâce à ton admirable constitution et aux bons soins de tous ceux qui t’entourent. Bientôt tu seras tout à fait hors d’affaire, mon cher petit homme, et je pourrai avoir le bonheur de te voir. Ce moment qui paraît si prochain au docteur me semble encore bien reculé pour mon impatiente tendresse. Cependant, loin de te pousser à aucune imprudence par égoïsme personnel, je te supplie au contraire, mon adoré, de bien prendre ton temps et le conseil du Docteur avant de te risquer ta première sortie, car autant j’ai eu de courage et de résignation pendant ces affreux jours derniers autant mon désespoir serait sans mesure si tu avais une rechute. Ainsi, mon cher adoré, ne te presse pas de sortir par bonté et par pitié pour moi. Sois plutôt prudent à l’excès. Soigne-toi bien, pense à moi si cela ne te fatigue pas. Plains-moi d’être si longtemps séparée de toi et aime-moi un peu. Tâche de passer une bonne nuit, mon cher petit malade. Je baise tes yeux pour les faire dormir, ton beau front pour y mettre de doux rêves et ta belle bouche pour y laisser mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16379, f. 173
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne