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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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13 décembre [1840], dimanche après-midi, 1 h. ½

Bonjour mon Toto injuste, bonjour mon Toto ingrat, bonjour mon Toto indifférent, bonjour mon Toto bien-aimé, bonjour mon Toto chéri, bonjour mon Toto adoré. L’heure à laquelle je vous écris est bien scandaleuse pour une femme qui a couché seule, qui s’est couchée de bonne heure, n’est-il pas vrai, mon amour ? Cependant j’ai des excuses à donner de ma paresse, comme vous allez le voir par ce qui suit. J’ai pleuré pendant près d’une heure aussitôt que vous avez été parti ce qui m’a mis en goût de ne pas m’endormir pendant une bonne autre heure. Ce matin à peine Suzanne a-t-elle été entrée que j’ai fait ouvrir ma fenêtre mais comme j’étais assez mal à mon aise, qu’il était trop tôt pour me lever et qu’il faisait trop froid, je suis restée à lire dans mon lit ce qui n’a pas manqué au bout d’un certain temps de m’endormir jusqu’au moment où je vous écris ce gribouillis. Je crois que ma pendule avance d’une heure, mais dans tous les cas je me lève trop tard et je mérite toute votre colère. Maintenant si vous demandez pourquoi j’ai pleuré avec tant d’application et d’abondance je vous dirai qu’il m’est plus facile de recommencer à l’heure qu’il est que de vous l’expliquer. C’est une tristesse si intérieure, si profonde, si douloureuse et si intime qu’il me serait impossible de l’expliquer par des paroles. C’est une tristesse de l’âme indépendante de la volonté, c’est une tristesse qui ressemble beaucoup à l’amour malade. Voilà à peu près ce que j’en sais moi-même, maintenant tâchez de ne pas me laisser trop longtemps sans consolation.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16343, f. 229-230
Transcription de Chantal Brière
[Souchon, Massin]


13 décembre [1840], dimanche soir, 5 h. ¼

Et vous voulez que je sois gaie, mon amour ? Et vous ne venez pas ? Et vous ne me donnez aucun signe que vous pensez à moi ? Aussi vos prétentions à mon humeur joyeuse sont-elles peu fondées et je passe outre en me faisant la plus triste et la plus découragée Juju qui soit sous un plafond quelconque.
J’ai auprès de moi ma Joséphine.

13 décembre [1840], dimanche soir, 11 h. ¾

J’ai interrompu ma lettre, mon adoré, que j’aurais continuée malgré ma Joséphine si Mme Pierceau n’était pas venue presqu’en même temps. Ces péronnelles n’ont pas voulu s’en aller qu’elles n’aient entendu les fameux vers [1]. Je les leur ai lus de mon mieux et je t’assure, amour propre à part, que je les ai très bien lus : la mère Pierceau s’est en alléea avec un étouffement pareil à celui du conscrit ou à quelqu’un qui aurait mangé quelque livre de galette de pâte ferme après son dîner. Joséphine regrettait que ce fût fini si tôt et moi je regrette de ne pas te voir, que comme une ombre fugitive qui me dit trop : « Je reviendrai, ai, ai » et qui ne le fait pas assez. Ah ! ça il paraît qu’on a fait des amphithéâtres partout où le cortège de l’empereur passera [2] et surtout entre les croisées de la maison de la sœur de Joséphine si bien que cette pauvre fille ne pourra peut-être pas louerb sa fenêtre plus de 40 ou 50 f. C’est bien fâcheux pour cette pauvre créature qui n’a jamais eu, et qui n’aura jamais, pareillec bonne fortune. Enfin le bon Dieu saitd ce qu’il fait quoiqu’il y ait bien des choses que nous ne comprenions. Je t’aime, je t’aime, je t’aime, je t’aime, je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16343, f. 231-232
Transcription de Chantal Brière

a) « c’est en allé ».
b) « loué ».
c) « pareil ».
d) « c’est ».

Notes

[1Le poème « Le Retour de l’Empereur » est sur le point d’être publié.

[2Il s’agit des préparatifs de la cérémonie du retour des cendres et du cortège qui les accompagne aux Invalides.

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