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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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8 décembre [1840], mardi soir, 9 h. ¾

Où es-tu, cher, cher bien-aimé ? Où es-tu pour que je t’envoie mon âme dans un baiser ? Je suis fière de toi, mon sublime petit homme, je me mire dans ton âme et dans ton génie comme si ce miroir-là ne mettait pas à nua ma nullité et ma stupidité. Mais ça m’est égal car j’y vois en même temps mon amour aussi beau et aussi noble que s’il venait d’une duchesse et d’une femme d’esprit. Et avec cette qualité je crois pouvoir me passer de toutes les autres. D’ailleurs tu as suffisamment de tout ça pour tout le monde entier et j’ai de l’amour plus que tu n’en useras en supposant que tu vives éternellement comme le bon Dieu.
La mère Lanvin était dans le ravissement de la lettre que tu as écrite pour son mari. Elle pleurait pendant que je la lui lisais. C’est qu’aussi c’est un bijou de bonté et de recommandation qui n’a pas sa pareille. Je te dis que tu es mon cher petit bien-aimé adoré. Je lui ai donné, à la mère Lanvin, les 211 f. 25 c. de la pension de Claire en lui recommandant de dire à Mlle Hureau de ne rien acheter sans mon autorisation. Elle viendra cette semaine me rapporter la quittance acquittée et peut-être aussi quelque nouvelle de M. Pradier. Cependant je n’y compte pas vu la facilité qu’il a [de] se soustraire à toute espèce de visite qui vienne de Lanvin ou de sa femme. C’est bien malheureux pour moi et pour l’enfant que tu ne sois pas à même de procurer à M. Pradier, moyennant une honnête transaction au profit de sa fille, un travail lucratif et de quelque importancea. Enfin ça n’est pas [illis.], il est triste que M. Pradier ne voie pas que cela sera un jour et peut-être très prochainement et qu’en attendant il se perde dans ton estime et qu’il s’aliène l’affection de son enfant qui est d’âge maintenant à comprendre tout l’odieux de la conduite de son père envers elle. Mais c’est assez et déjà trop à ce triste sujet. Je t’aime, mon adoré, je te vénère, je t’adore. Je te dis toujours la même chose avec les mêmes mots parce que c’est la vraie vérité de mon cœur et de mon âme. Pauvre bien-aimé, je regrette maintenant de n’avoir pas essayé de trouver un dîner plus sain et plus à ton goût mais dans la hâte et à l’heure où tu es parti j’ai hésité et maintenant j’en suis fâchée. Une autre foisb je ne marchanderai pas avec ton souper, je ferai même dans le doute le plus doute ce qu’il faut pour donner à manger honnêtement à un cher bien-aimé comme toi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16343, f. 213-214
Transcription de Chantal Brière

a) « quelqu’importance ».
b) « autrefois ».

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