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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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2[1] [août 1840], vendredi après-midi, 2 h. ½

Je vous écris tout de suite une grosse lettre, mon amour, parce que je ne veux pas couper en deux la bonne matinée heureuse que nous venons de passer ensemble. Je ne sais pas si dans mes vieux JOURS le souvenir de notre amour ne laissera que des souvenirs dorés et ravissants comme ceux de mon enfance à présent mais ce que je sais c’est qu’une matinée comme celle-ci illumine des jours sombres et embrase bien des jours glacés. Je suis heureuse aujourd’hui, et ce n’est pas du bout des lèvres que je pousse mon rugissement. QUEL BONHEUR ! QUEL BONHEUR ! C’est du plus profond de ma poitrine. Jour mon Toto. Si vous ne me faites pas sortir vous êtes dans votre droit. Je ne me plaindrai pas parce que ce ne serait pas juste. D’ailleurs j’ai à travailler. Baisez-moi, aimez-moi et pensez à moi si vous pouvez. J’ai mal à la tête mais c’est égal je suis heureuse. Je veux que vous m’apportiez Régnier, la bourse et le livre de MESSE. Je tiens à vous [dépouille LUILIER  ?] de tout. C’est mon genre à moi. Donnez vos petits pieds, les petites pattes à présent, votre bec, vos yeux, vos cheveux. Tout, tout, je veux tout. Ça vous apprendra à me vieillir mais pour vous faire pièce je prendrai un passeport tout frais et tout neuf où il n’y aura que MA VRAIE ÂGE : VINGT-SIX ans, par de LA RENAISSANCE. Qui est-ce qui sera COLLÉ ? Toto, Toto, Toto, Toto, Toto, Toto, Toto. Non mais sans farce je vous prie de supprimer cette mauvaise plaisanterie qui consiste à me pousser dans la caducité et la vieillardise anticipée. J’ai bien assez de porter le poidsa de mes ans sans Zen ajouter d’autres qui me sont tout à fait étrangers. Je ne veux absolument ne porter que vous, tout autre FARDEAU je le rejette avec enthousiasme. Baisez-moi, aimez-moi, voilà mon refrain et ma a a a philosophie ie ie ie [1].

Juliette

BnF, Mss, NAF 16343, f. 105-106
Transcription de Chantal Brière

a) « poid ».


21 août [1840], vendredi soir, 5 h. ½

Je vous écris en compagnie de Résisieux et à l’heure de ma pendule qui avance d’une heure. Je n’ai pas encore vu Penaillon et je pourrais prendre la fuite en lui emportant ses valeurs et les vôtres. Quant à vous, ce serait pain béni car vous n’auriez que ce que méritenta votre défiance et votre avarice, mais pour cette pauvre Penaillon il y aurait conscience. Voilà deux affreux jours pour moi, chagrin de cœur, chagrin d’enfant, j’ai tout cumulé pour compenser en deux jours d’amertume et de tristesse les quelques minutes de bonheur que tu égrènesb quelquefoisc dans ma vie. Enfin voilà, c’est à prendre ou à laisser. En somme si on ne rend pas l’argent à la [poste ? porte ?] on est libre de s’en aller voir ailleurs si le spectacle est plus amusant qu’ici-bas.
Je te remercie de ta bonne lettre pour cette pauvre Claire quoique je doute fort de son effet sur l’homme sans caractère auqueld elle est adressée. Enfin ce ne sera pas ta faute et nous n’aurons rien à nous reprocher. Merci donc encore une fois mon amour. Je me figure que tu es à Saint-Prix [2], c’est tout simple, tu n’en es revenu que dans la nuit d’avant-hier à hier. Mais tu peux être tranquille, je n’emploierai pas ton absence en courses, en cabriolet ni autres véhicules tout aussi fringantse. Je n’ai le cœur ni à la danse ni aux courses en voitures à l’heure et plût à Dieu que je ne l’aie pas davantage à l’amour. L’amour et la guerre c’est une belle chose quand on est revenu mais autrement c’est assez fatigantf et toujours très pénible et on n’ag pas pour se consoler la GLOIRE. Je t’aime, voilà ce qui jusqu’à présent est vrai. Je suis malheureuse, c’est encore vrai. Je ne changerais pas mon sort contre le bonheur, c’est encore vrai.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16343, f. 107-108
Transcription de Chantal Brière

a) « mérite ».
b) « égrennes ».
c) « quelques fois ».
d) « à laquelle ».
e) « fringuant ».
f) « fatiguant »
g) « a ».

Notes

[1Parodie d’un refrain du Robin des Bois ou les Trois Balles de Castil-Blaze et Thomas Sauvage (Odéon, 7 décembre 1824), adaptation libre du Freischütz de Weber : « L’amour, le jeu, le bon vin : / Voilà mon joyeux refrain, / Et ma philosophie. » Remerciements à Roxane Martin et Olivier Bara, qui ont identifié pour nous cette référence.

[2La famille Hugo s’est installée au château de la Terrasse à Saint-Prix pour l’été.

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