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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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18 août [1840], mardi, midi

M’aimes-tu, mon adoré ? M’aimes-tu avec le cœur et l’âme comme moi ? Il y a des fois où j’en doute et où je suis bien malheureuse, il y a des fois où je le crois et alors c’est charmant et je ferais des folies de joie et de bonheur. Depuis trois jours je suis dans un doute affreux qui me harcèle et m’attriste, mais tu as été si bon, si doux et si persuasif tout à l’heure que je sens la défiance et la jalousie s’en aller de mon pauvre cœur malade. Je ne crois en Dieu qu’à travers mon amour ainsi juge comment je t’aime, combien je te crois et combien il serait atroce de me tromper. Mon Dieu que j’aurais voulu assister à la cérémonie d’hier ! Quellea joie pour toi et quel triomphe pour ce pauvre bel enfant [1]. D’y penser j’en ai le cœur tout gros de regret et d’adoration car si je n’ai pas eu le bonheur d’admirer les douze centimètres de nez de ta voisine au fauteuil j’ai entendu les applaudissements et les murmures d’admiration et d’adoration de la foule et quand je pense qu’il m’est permis de t’aimer et de baiser tes pieds comme si tu étais un homme ordinaire je suis éblouie et confuse de mon bonheur. Mon Victor adoré je t’aime.
J’ai toujours bien mal à la tête mais je suis heureuse puisque tu m’aimes. J’ai lu le Balzac [2] dont le gros ventre est encore plus bourré de fatuité, d’envie et de vanité que de pieds de cochon, non truffé, de cervelas à l’ail et de pommes de terre frites. La polysarcieb [3] n’est pas seulement dans sa bedaine mais dans son pauvre esprit bouffi comme une outre pleine. Il se compare physiquementc à un lion, l’animal, et il se promène majestueusement à quatre pattes dans ton admirable poésie pour y chercher des fautes de français, le cuistre, comme si l’aigle qui plane et le lion qui marche devaientd se heurter aux mêmes difficultése de la route : les pierres et les fautes de français ne sont pas au ciel mais bien dans ton ignorance et sur la terre où tu marches, ô Balzac. C’est moi, la vieille Juju, qui te le dis et qui te le prouverai quand tu voudras, ô GROS HOMME que tu es.
En attendant baise-moi toi et ne me laisse pas te désirer à sec trop longtemps.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16343, f. 99-100
Transcription de Chantal Brière

a) « Quel ».
b) « polyçarcie ».
c) « phisiquement ».
d) « devait ».
e) « difficultées ».

Notes

[1Charles Hugo a remporté le premier prix de thème latin au Concours général.

[2Il s’agit probablement de l’article paru dans la Revue Parisienne du 25 juillet où Balzac rend compte du recueil Les Rayons et les Ombres.

[3Hypertrophie des muscles et du tissu adipeux.

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