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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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24 avril [1840], vendredi après-midi, 2 h. ¾

Je voudrais bien savoir, mon amoureux, à qui s’adressait ce regard furieux tout à l’heure sur le seuil de ma porte ? J’ai eu la curiosité de regarder mais je n’ai vu que deux paisibles marchands d’habits assis sur la borne, quelques innocents fourneauxa à quatre pattes en groupe et enfin une paire de longues jambes surmontées d’une paire de lunettes ; si c’est à elles (jambes ou lunettes) que vous adressiez ce regard foudroyant vous êtes deux millions de fois trop bête et je le dirai dans ma prochaine préface. En attendant je vous aime de tout mon cœur et je vous désire de toute mon âme. Vous voyez en outre que je sais payer mes dettes et que je ne vous fais pas attendre trop longtemps mes remboursements. Malgré vos promesses, presque solennelles, je ne crois pas à la culotte d’aujourd’hui, je sais que vous êtes trop occupé de votre volume [1] pour donner suite à cette promesse, mais j’y compte aussitôt votre livre paru. Je ne sais pas où vous avez pris que je suis désoeuvrée car il n’y a pas de femme plus occupée que moi ? En vérité, mon Toto, vous n’avez pas très bonne opinion de moi et il est décourageant de se transformer tantôt en domestique, tantôt en couturière, tantôt en secrétaire pour aboutir à vous faire l’illusion d’une femme tournant [ stupidement ?] ses pouces. Enfin je n’en ai que plus de mérite à vous aimer avec constance, fidélité et passion quoi quea vous fassiez pour m’affliger, me décourager et me refroidir. Je t’aime mon Toto, tu peux être injuste, féroce et injurieux tant que tu voudras, je t’aime et je ne cesserai pas de t’aimer même au-delà de ma vie en ce monde si quelque chose de moi survit dans l’autre. Jour Toto, tâchez de venir travailler avec moi. Je vais faire votre tisaneb, me débarbouiller, me coiffer et m’habiller bien vite pour être prête quand tu viendras. Je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16342, f. 71-72
Transcription de Chantal Brière

a) « quoique ».
b) « tisanne ».


24 avril [1840], vendredi soir, 5 h.

Je vous demande pardon, mon Toto, si je me trompe dans mes conjectures car Dieu sait que je ne les faisa pas de bon cœur, tant s’en faut. Mais enfin toutes vos promesses à la veille de publier votre volume [2] me paraissent suspectes et me font l’effet de devoir masquer une hideuse absence de 8 ou 10 heures, si je me trompe tant mieux et je ne demande pas mieux que de vous demander pardon à genoux dans le beau milieu de la cour des MARRONNIERS [3]. En attendant j’en suis pour mes craintes et pour une tristesse anticipée qui ne flaire pas la culotte promise. Vous avez beau dire, mon Toto, vous aviez un drôle de coup d’œil tantôt devant ma porte. Si ça n’est pas, et vous seul le savez, il faut avouer que j’ai une fameuse berlue. En attendant voici la pauvre folle du 3eme qui rit aux éclats comme la plus heureuse des femmes ou comme une insensée, ce qui est synonymeb. Baisez-moi Toto. Aimez-moi, croyez-moi honnête et fidèle car je le suis plus que vous ne pouvez le désirer et tâchez de venir avant une ou deux heures du matin. Il fait un temps ravissant, je ne serais pas fâchée de faire un petit tour avec vous, mais je serais dans le ravissement et la joie de mon cœur si vous me culottiez des pieds à la tête aujourd’hui.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16342, f. 73-74
Transcription de Chantal Brière

a) « fait ».
b) « synonyme ».

Notes

[1Il s’agit du recueil Les rayons et les ombres.

[2Il s’agit du recueil Les Rayons et les Ombres.

[3Restaurant réputé de Bercy.

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