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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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17 novembre [1840], mardi soir, 8 h. ¼

Je t’écris de mon lit, mon pauvre bien-aimé, parce qu’après avoir lutté avec les douleurs les plus violentes dans l’estomac jusqu’au moment où tu m’as quitté, j’ai vomi sans en éprouver aucun soulagement et que je me serais roulée à terre tant je souffrais. Il n’y a qu’un cataplasme qui m’a calméea. J’en fais refaire un second dans ce moment-ci, mais auparavant j’ai voulu me donner la joie de t’écrire, joie bien triste en comparaison du bonheur d’entendre ta douce voix et tes ravissantes paroles toujours bonnes, toujours aimables, toujours indulgentes, toujours nobles, toujours admirables. Mon Toto, tu comprends bien que mes stupides gribouillis me paraissent bien insipides alors même qu’ils ont pour but de t’assurer de mon amour. C’est ce qui m’arriveb en ce moment-ci en pensant qu’au lieu de t’écrire je pourrais t’écouter. Ma Claire est partie un peu auparavant huit heures avec Mme Lanvin qui a dînéc avec elle et M. Félix qui est venu seulement pour ramener Mme Lanvin de la pension à cause de l’endroit désert, je leur ai payé un omnibus pour eux trois et ils sont partis aussitôt. Je vais être absolument seule maintenant et si tu es bien bon, mon Toto, tu feras toutd ton possible et bien plus que ton possible pour me donner quelques heures de supplémente dans la soirée. Je ne t’aimerai pas davantage parce que je t’aime déjà plus que tout au monde mais je serai moins triste et je souffrirai moins. J’ai été bien méchante tantôt ; mais si tu avais pu te douter de ce que je souffrais intérieurement tu aurais compris ce mouvement de brusquerie et tu ne t’en serais pas offensé. Au reste cela t’a donné l’occasion de montrer dans tout son jour ta bonté et ta douceur ineffable. Je l’ai bien fait remarquer à Claire devant Mme Lanvin en faisant ressortir ma méchanceté et en l’engageant à profiter de l’exemple que je lui donnais pour faire tout autrement que moi. Elle n’a pas eu de peine à comprendre cette morale et je crois qu’elle se l’était faite à elle-même avant que je ne lui en eusse parlé. Voilà à quoi sert la méchanceté, à rendre bons ceux qui en sont témoinsf. C’est toujours ça et il n’y a rien de perdu. Je t’aime mon adoré Toto, je t’aime de toute mon âme, c’est bien, bien vrai.

Juliette

BnF, Mss, NAF, 16343, f. 167-168
Transcription de Chantal Brière

a) « calmé ».
b) « m’arrivent ».
c) « dîner ».
d) « tous »
e) « suplément ».
f) « témoin ».

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