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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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18 juillet [1840], samedi matin, 5 h. ½

Bonjour mon Toto chéri, bonjour mon cher petit homme bien-aimé, bonjour, bonjour, je t’aime. Je te donne un bonjour matinal, mon amoureux, c’est que j’ai bien des choses à faire pour être prête à 9 h. et la plus importante de toutes c’est de te donner sur le papier les baisers que je n’ai pas pu te donner sur ta charmante bouche. C’est ce matin donc, mon amour, que nous posons devant le soleil [1]. J’ai une peur de tous les diables qu’il ne me fasse ressemblante. Je reculerais devant cet affront si je ne savais pas qu’au bout il y aura un délicieux petit portrait de toi. Cette pensée me donne du courage et me ferait tout braver. Je vous aime Toto. Vous ne le saurez jamais assez car mon amour grandit tous les jours sans que je sache comment car tous les jours je sens mon âme pleine jusqu’au bord d’adoration et de ravissement. Pourquoi n’es-tu pas venu te coucher auprès de moi cette nuit ? Je comprends, tu as travaillé une partie de la nuit, pauvre ange, et tu te seras jetéa sur ton lit bien vite pour pouvoir arrivé tout prêt, tout rasé, tout attiféb, tout arrangé. C’est juste mais c’est SÈCHE. Je vais me dépêcher à mort. Je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF, 16343, f. 35-36
Transcription de Chantal Brière

a) « jetté ».
b) « attiffé ».


18 juillet [1840], samedi soir, 6 h. ¾

Je suis consternée, mon adoré, du résultat du Daguerréotypea à mon endroit. Je suis démoralisée mais sérieusement car ce n’est pas ma coquetterie encore moins mon amour propre que cela blesse mais ma confiance dans ton amour que cela tue. Je suis courbaturée et malade, je voudrais mourir. Si je n’avais pas ma pauvre fille je crois que je devancerais le moment donné tant j’ai honte de moi et tant j’ai peur de survivre une seconde à ton amour éteint. C’est vraiment du désespoir que j’éprouve. Vraiment je suis un monstre de laideur. Quels affreux portraits y compris le bien réussi. Et je ne peux pas me faire d’illusion car les tiens, quoique moins beaux que toi, sont charmants, ainsi c’est bien moi, moi qui suis laide et atroce. C’est bien triste, mon Dieu, car dans mon âme je suis belle [2]. C’est la première fois que ce vers me frappe comme un des plus vrais et des plus poignants de la douleur [de] ce pauvre monstre que tu as créé. Si tu as pitié de moi et si tu tiens à ton amour et à ma vie tu effaceras toutes ces hideuses images qui me multiplient et doublentb pour ainsi dire ma vilaine carcasse. Je t’en prierai tant qu’il faudra bien que tu y consentes. En attendant je te crois partic à Saint-Prix [3], j’ai la tête en feu et je me tuerais avec volupté tant je souffre du corps et de l’âme. Je t’aime trop, c’est ce qui me rend laide.

Juliette

BnF, Mss, NAF, 16343, f. 37-38
Transcription de Chantal Brière
[Massin, Blewer]

a) « daguerrotype ».
b) « double ».
c) « partie ».

Notes

[1Juliette s’inquiète des préparatifs d’une séance de photographie.

[2« Dans mon âme / Je suis beau ! », La Esmeralda, Acte IV, scène 2.

[3La famille Hugo s’est installée au château de la Terrasse à Saint-Prix pour l’été.

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