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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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10 juin 1840

10 juin [1840] [1], mercredi après-midi, 1 h. ½


Je t’aime avant toute chose et après toute chose, je t’aime, je t’aime et je t’aime. Je viens d’écrire à la mère Pierceau que j’enverrai Suzanne demain chez elle. Je n’ai pas pensé à te demander la somme juste que tu m’as apportée hier non plus que notre dépense d’hier. Ce sera pour ce soir. Je me donne beaucoup de mal pour mettre mes dépenses en ordre et à la fin du mois je suis toujours embrouillée et toujours en deçà ou en dessous de ma recette. Je fais pourtant de mon mieux mais ça ne suffit pas pour être juste dans mes comptes. Je crois qu’il va faire un grand orage. Le ciel est noir comme hier et le temps encore plus lourd. Tâche de ne pas te faire mouiller et venir chercher le parapluie avant qu’il ne pleuve à seauxa. Quel charmant après-dîner nous avons passé hier. Je voudrais y être encore, dût la pluie nous mouiller jusqu’aux os. Jamais je n’oublierai le bassin du Titan [2] et la charmante tourterelle qui venait s’y désaltérer. Cette ravissante petite bête avait l’air de nous connaître et d’attendre pour boire à petites gorgées que tu aies laissé tomber des gouttes de ta poésie dans ces petites coupes moussues et fleuries qui l’entouraient. Mon Dieu que de perles vous avez égrenées hier dans ce magnifique jardin, aux pieds de ces belles déesses que je crois vivantes quand vous les regardez. Que de fleurs dans ces parterres remplis d’enfantsb joyeux. Comme tout ce monde, dieux, déesses, héros, rois, reines, femmes, nymphes et enfantsb ont dû se disputer les merveilles que vous avez jetées à pleine bouche tout autour d’eux. J’avais du regret de m’en aller. J’aurais voulu pouvoir revenir au clair de lune et leur reprendre tous ces trésors dont vous êtes si peu avare. Oh ! je veux y retourner bientôt et en même temps nous irons revoir nos Metz où nous avons été si heureux. C’est un pèlerinage qui nous portera bonheur et que j’ai hâte de faire. Je t’aime mon Toto. Pardonne-moi ce gribouillage qui me semble ridicule, et qui doit l’être, car j’étais ivre d’amour quand je l’ai écrit. Ma pensée chancelle et tombe sur mon papier parce qu’elle a trop buc et qu’elle ne sait plus où elle en est.

Juliette

Collection particulière / MLM / Paris, 41776
Transcription de Gérard Pouchain annotée par Florence Naugrette

a) « sceaux ».
b) « enfans ».
c) « bue ».

Notes

[1Le calendrier perpétuel donne les années 1835, 1840 et 1846 pour le mercredi 10 juin. La servante Suzanne est engagée en 1839. En juin 1846, Juliette ne quitte pas le chevet de sa fille Claire. Dans le fichier de la BnF, il y a une lacune à la date du 10 juin 1840 que cette lettre comble d’autant mieux que dans la lettre du 9 juin, Juliette évoque une promenade promise par Hugo, lors de laquelle ils iraient rendre visite aux nymphes et déesses de marbre (probablement les statues du château de Versailles, où se trouve le bassin du Titan).

[2Le bassin du Titan Encelade se trouve au château de Versailles.

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