Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1840 > Mai > 30

30 mai 1840

30 mai [1840], samedi après-midi, 4 h. ¼

C’est aujourd’hui l’affreux jour où tu vas à la campagne [1], y compris celui de demain, qui est encore pire car je n’ai même pas la consolation du déjeuner. J’espère pourtant que je te verrai encore une pauvre petite fois avant ton départ ? Je tâcherai dans ce trop court moment de prendre sur tes lèvres, dans tes yeux et dans ton âme du courage, de la patience et de la résignation jusqu’à demain soir. D’ici là je vais bien te désirer, mon Toto, et t’aimer de tout mon cœur.
Je viens d’écrire au bottier de venir me parler tout de suite. Je lui ferai une fameuse semonce. Je te dirai aussi que la penaillon est venue tantôt et que décidément je lui ai pris son coupon de toile avec ton approbation. Je le lui ai payé tout de suite, connaissant ton horreur pour les dettes, mais aussi je suis sans le sou. Mais mon pauvre adoré c’est de l’argent bien placé et dont notre maison se ressentira en bien car elle commence à être un peu démunie de linge. Toutes ces dépenses ne sont pas des dépenses de coquetterie ni de toilette mais des dépenses les plus nécessaires et les mieux entendues pour notre position financière. Baise-moi mon amour, pense à moi et tâche de faire ton absence la plus courte possible car je ne vis pas dès que je crois que tu n’es plus autour de moi et dans l’air que je respire. Baise-moi mon adoré et pense que tous mes sens, toutes mes facultésa physiquesb et morales n’ont qu’une seule et unique fonction, celle de t’aimer. C’est ce qui fait que je t’aime de toutes mes forces, de toute mon âme et de tous les amours à la fois.
J’ai fait pousser deux ravissantes fleurs de porcelaine rameau d’or dans mon joli petit pot chinois, jamais végétation n’a été mieux appropriéec à son sol. Je regrette que ce joli pot ne m’ait pas été donné par toi parce qu’alors ce serait complet et charmant. Mais enfin tel qu’il est il est très joli. Baise-moi mon amour, je t’aime autant que tu es beau, noble, bon et ravissant, c’est-à-dire à l’infini.

Juliette

BnF, Mss, NAF, 16342, f. 177-178
Transcription de Chantal Brière

a) « facultées ».
b) « phisiques ».
c) « approprier ».

Notes

[1La famille Hugo s’est installée au château de la Terrasse à Saint-Prix pour la saison d’été.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne