3 novembre [1837], vendredi après-midi, 4 h. ½
Cher petit bien-aimé. Je souffre mais je ne suis pas du tout grognon. Je vous aime. Je suis heureuse, du moins je viens de l’être. Il est vrai que j’ai l’espoir de ne pas vous revoir de toute la soirée, ce qui diminue d’autant l’impression de bonheur de tout à l’heure. Je voudrais que tous les beaux-frères ambitieux [1] fussent à tous les cinq cents diables [2].
Je vais me dépêcher de me débarbouiller pour travailler pour vous. Combien que vous me paierez, hein ? Oh la la, ça me fait mal… C’est vous qui en êtes la cause, méchant Toto. Tiens, voilà la nuit. Oh ! oh ! vite, que je vous dise que vous êtes mon Toto bien aimé, que vous êtes très beau et très méchant. Je vous prie si vous y pensez de m’apporter quelque chose en cadeaux sans aucun calemboura. Il y a très longtemps d’ailleurs que vous ne m’avez accabléeb de vos bienfaits et puis il n’y a que les honteux qui perdent à ne rien demander. Moi je redemande et je n’obtiens rien, c’est toujours ça de gagnéc. Soir pa, soir man. Pensez à moi. Je vous aimerai encore plus si c’est possible.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16332, f. 9-10
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
a) « calembourg ».
b) « accablé ».
c) « gagner ».
3 novembre [1837], vendredi soir, 9 h.
Il paraît que vous avez endossé le fameux habit noir. Grand bien vous fasse et à M. Barthe [3] aussi. Moi je rage, comme toujours. J’ai travaillé ce soir, moins vite que l’autre jour parce que chemin faisant j’ai lu plusieurs numéros que je ne connaissais pas. Je vais achever pourtant ce soir les trois volumes qu’ila me reste encore à faire. Vous aurez à répondre à bien des faits nouveaux que je trouve au fur et à mesure dans mon travail [4]. Nous verrons comment vous vous en tirerez. Si j’étais derrière vous dans ce moment-ci, il est probable que je vous donnerais de fameux coups de piedb par-dessous les basques de votre magnifique habit. Mais prenez-moi donc à votre service, vous verrez comment vous serez servi dans des occasions comme celle-ci. Hum, que j’aurais du plaisir à vous habiller moi-même. Quel admirable quart d’heurec je vous ferais passer. C’est bien malheureux que vous ne donniez pas encore dans le luxe des GROOOMES [5]. J’aurais été le vôtre et vous auriez été très heureux et moi aussi, au lieu que comme je suis je bisque, je rage et je mange du fromage plus qu’à discrétion. Je vous aime en attendant, et de toute mon âme encore.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16332, f. 11-12
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
a) « qui ».
b) « pieds ».
c) « quard-d’heure ».