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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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14 mars 1840

14 mars [1840], samedi soir, 7 h. ¼

Vous irez vous vautriner [1] ce soir à la Porte Saint-Martin, mon amour, et j’en serai pour mes frais de patience et d’amour car vous ne viendrez pas avant 1 h. du matin. Vous savez qu’en fait de vous et de ce qui intéresse nos amours je ne me trompe guère ? Aussi j’aurai le triste avantage d’avoir encore devinéa juste cette fois comme toutes les autres. Je vous prie du fond du cœur, mon Toto, d’être pour moi ce que vous voudriez que je fusse pour vous en pareille circonstance et de ne regarder que dans votre cœur au lieu dans la salle ou sur la scène que vous aurez devant les yeux toute la soirée. Je vous prie de m’aimer et de m’être bien fidèle de paroles, de pensées et d’actions, de corps et de cœur enfin tel que vous me souhaitez. N’est-ce pas, mon amour, que tu seras bien tout ça ce soir et toujours ? Je t’aime mon Toto chéri. Je t’aime mon amour. Pense à moi de mon côté et aime-moi de tout ton cœur ce qui ne fera pas le demi quart du mien. J’ai bu le reste de la tisaneb tout à l’heure et je n’en ai pas fait d’autre pour ce soir, demain j’en ferai de la toute fraîche que je boirai comme d’habitude à ta santé. Pauvre ange adoré, c’est bien vrai que je voudrais prendre tous tes maux et toute ta fatigue et te laisser avec toute ta gloire, ta beauté, ta santé et le bonheur. Si on pouvait faire de ces stipulations avec le bon Dieu il y aurait longtemps que le marché serait passé, signé et en pleine activité. Malheureusement rien de tout cela n’est possible, je ne peux que t’aimer, t’aimer et t’aimer et je m’en acquitte plus que de toute mon âme et de tout mon cœur.
Je veux absolument que, outre le cimetière de +++ [2], vous me donniez l’album qui contient votre portrait, je fais bon marché du Béranger, je n’en veux même pas, si ce n’est pour le donner à quelqu’un ou à quelqu’une à votre choix. Mais je veux mon album, je veux mon album, je le veux, je le veux, je le veux. Baisez-moi en attendant et tâchez de ne pas me faire trop de chagrin ce soir, je sentirai tout ce que vous ferezc de mal soit par les yeux, soit par la bouche, soit par le cœur. Ainsi, mon petit bien-aimé, tenez vous sur vos gardes et pensez que je vous vois encore plus que le bon Dieu. Vous auriez dû m’apporter les journaux, Résisieux va venir chercher la presse et je ne pourrai pas la lui prêter : ah ! ben tant pis mon ON s’en passera mais, moi, comment vais-je me passer de vous toute cette grande soirée ?

Juliette

BnF, Mss, NAF 16341, f. 268-269
Transcription de Chantal Brière

a) « deniner ».
b) « tisanne ».
c) « ferai ».

Notes

[1Le théâtre de la Porte Saint-Martin donne Vautrin, une pièce de Balzac soutenue par Victor Hugo.

[2« Dans le cimetière de… », XIV, Les Rayons et les Ombres.

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