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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 22 octobre 1852, vendredi matin, 8 h.

Bonjour, mon cher petit Toto, bonjour. Je ne sais pas ce que la Providence me garde pour aujourd’hui mais je sais que, quoi qu’il arrive, vous serez mon bien-aimé adoré. Cela ne m’empêche pas de trouver le triage de vos lettres de plus en plus impertinent et de n’en êtrea pas la dupe. Je dois dire que, pour un homme d’ESPRIT, vraiment vous m’étonnez, en faisant cette tricherie aussi maladroitement que les employés de son altesse impériale le prince président rentrant dans sa FIDÈLE CAPITALE. Je vous conseille de changer de truc, ne fût-ceb que pour leur montrer la manière de s’en servir. Maintenant si vous continuez à ne m’apporter que les billets doux de Jeffs et les poulets froids de Tarride [1], voirec même les plis mystérieux des English men, c’est pour ne pas en avoir le démenti car vous savez le cas que je fais de cette prétendue confiance. Seulement prenez garde que je ne fasse une brusque invasion dans vos archives et que je ne vous démontre l’évidence de votre mauvaise foi et de votre déloyauté. Hélas ! je croyais rire en commençant ces réflexions tristement comiques mais je m’aperçoisd que je touche sans le vouloir à l’inquiétude ombrageuse qui veille au fond de mon pauvre cœur jaloux. Aussi, loin de rire, j’ai plutôt envie de pleurer. Je m’empresse de quitter ce sujet pour ne pas te faire une scène ridicule. Mon Victor, je t’aime, voilà tout ce dont je suis sûre. J’espère que tu m’aimes et je mets toute ma VIE dans cette espérance.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16372, f. 79-80
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « n’en n’être ».
b) « fusse ».
c) « voir ».
d) « appercois ».


Jersey, 22 octobre 1852, vendredi après-midi, 1 h.

Je t’approuve, mon bien-aimé, de n’être pas venu me voir ce matin par ce vilain temps brumeux et pluvieux mais je t’approuverais encore bien davantage si tu venais séance tenante, quitte à n’achever mon gribouillis que dans le restitus le plus lointain. Autant il faisait gris et froid dans la matinée autant il fait gai et chaud cet après-midi. La mer qui monte est magnifique et tout à fait digne d’attirer votre attention. Quant à moi, vous savez que je suis toujours prête au bonheur de vous voir et qu’il n’y a que votre absence à laquelle je ne puisse pas m’habituer bien que j’en fasse trop souvent l’épreuve depuis vingt ans. Il est vrai que j’ai à travailler et qu’il faut même que je me dépêche pour vous remettre mon travail ce soir. Mais ceci n’est pas la besogne qui me plaît et j’avoue que je la fais par obéissance plus que par plaisir [2]. Tandis que l’autre c’est tout le contraire [3]. Enfin puisque tu penses que cela peut t’être utile je vais m’y mettre d’arrache plume tout à l’heure. Mais auparavant il faut que je me mette en train en te disant tout ce que j’ai sur le cœur de doux, de bon, de tendre et de dévoué pour toi. C’est une drôle de préface aux horreurs dont je vais prendre note de mémoire mais tout souvenir, toute pensée et toute action me viennent de toi et convergent vers toi puisque tu es ma vie et mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16372, f. 81-82
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Jean-Baptiste Tarride : libraire-éditeur bruxellois, signe le 30 juin 1852 un contrat avec Victor Hugo pour la publication de Napoléon le Petit duquel il se fait remplacer à la dernière minute par son confrère Mertens. Avant le départ de Victor Hugo pour Jersey, signe un nouveau contrat relatif à l’édition de ses Œuvres oratoires. Le résultat n’est pas à la hauteur des attentes du proscrit qui décèle de nombreuses fautes ou lacunes. En outre Hugo reproche à Tarride son manque de rigueur dans les calculs financiers.

[2Dès le mois d’octobre 1852 Juliette aurait-elle reçu ordre de Victor Hugo de rédiger un journal de l’exil qu’elle ne débute dans les faits qu’à la date du 14 décembre 1852 ? (voir Gérard Pouchain, « Introduction au journal de Jersey », Juliette Drouet, Souvenirs 1843-1854, Éd. des femmes/Antoinette Fouque, 2006, p. 279-281). Ou bien s’agirait-il d’une autre commande d’écriture jamais mise à exécution ?

[3Copie des manuscrits de Victor Hugo.

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