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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 7 octobre 1852, jeudi matin [8 h ?]

Bonjour, mon cher petit bien-aimé, bonjour. Je suis encore honteuse de ma lâcheté d’hier au soir. J’avoue que je ne m’en croyais pas capable et je me trouve bien rapetissée dans mon estime depuis cette [casserie ?] monstre. Mais si on dit dans l’histoire : Juju fut poltronne le 6 octobre 1852, je veux qu’on dise : mais elle fut brave tous les autres jours, à commencer par ce soir. En attendant je vois que les averses se suivent et se ressemblent dans cette île hospitalière. À chaque instant je suis forcée de fermer mes fenêtres, occupation assez maussade. J’y joins un affreux mal de tête que j’attribue à mon coup d’air, mais en réalité je l’avais déjà avant qu’il en fût question. Je ne sais pas si c’est une illusion, mais il me semble que j’étais moins bête à Paris et en Belgique qu’ici. Chaque fois que je m’essaye à te faire un gribouillis, il me semble que toutes mes pensées se ferment comme avec une clef. Il ne reste d’ouvert que mon cœur, mais l’amour dont il est plein ne supplée pas à l’esprit qui me manque. J’ai beau dire je t’aime indéfiniment, cela ne remplace pas les mots, les lignes, les phrases qui doivent composer une élucubration quelconque. Je le sais mais j’ai beau parler de la pluie et du beau temps, je ne parviens pas à combler la lacune qui existe entre mon cerveau et mon cœur, même en y mettant toute mon âme bout à bout c’est encore trop court. Et pourtant Dieu sait si je t’aime depuis la tête jusqu’aux pieds.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16372, f. 25-26
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette


Jersey, 7 octobre 1852, jeudi midi

Je suis fâchée de te refuser le petit service que tu me demandes et que Suzanne peut te rendre tout aussi bien que moi. Mais j’ai une antipathie si prononcée pour la ville proprement dite que je ne me déciderai à y aller que lorsque je ne pourrai pas faire autrement. Quanta aux timbres-posteb Suzanne peut tout aussi bien les acheter que moi car sans cela, quelle quec soit ma répugnance à aller à Saint-Hélier, j’y serais allée aujourd’hui même. Ce soir, quand elle portera tes lettres, elle en achètera la quantité que tu voudras. Quant à moi je vais essayer d’écrire à ces pauvres Montferrier mais j’ai si mal à la tête que je ne sais pas si j’y parviendrai. Moque-toi de moi tant que tu voudras, mais je t’assure que je suis en train de devenir imbéciled. Je crois que j’aurais besoin de marcher, c’est-à-dire de prendre de l’exercice, de sortir avec toi. Une fois tous les huit jours ce n’est vraiment pas assez. Toi-même, mon cher petit homme, quoique tu sortes plus que moi, tu sens le besoin de respirer plus largement et ton oppression d’hier le disait plus éloquemment que je ne saurais le dire, qu’il faut marcher, se promener et jouir de tous les rayons du soleil qui échappent à la rapacité du bon Dieu. Dans ce moment-ci, il fait un temps exquis et rien ne serait plus charmant que d’en profiter ensemble. Je dis ensemble parce rien ne me plaît, rien ne m’est bon, rien ne m’est doux sans toi. Cela ne t’empêche pas d’être heureux de ton côté puisque tu le peux. Quant à moi je ne sais que t’aimer, te désirer et t’attendre avec tout mon cœur, toutes mes forces et toute mon impatience.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16372, f. 27-28
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « quand ».
b) « timbres-postes ».
c) « quelque ».
d) « imbécille ».

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