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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 13 novembre 1852, samedi matin, 8 h.

Bonjour mon petit bien-aimé, bonjour avec et sans stéréoscope, bonjour avec toutes les tendresses superposées et multipliées sur la plaque de mon cœur, bonjour. Je dors horriblement mal, mais je vous aime affreusement bien, ce qui me console et puis vous m’avez promis de la BELLE OUVRAGE [1] pour aujourd’hui ce qui me ravit au troisième ciel. Quel bonheur !!! Aussi je me suis dépêchée de faire mon nettoyage à fond pour être toute prête quand vous viendrez. Pourvu que rien ne vienne à la traverse de mon bonheur. Voilà trois jours que je t’ai à peine vu et cela ne fait pas mon compte. Je te supplie, mon petit homme de ne pas trop te laisser envahir aujourd’hui par toutes sortes de choses et de gens. Songe que c’est le cidre de Charles [2] ce soir et que tu t’en iras plus tôt. Enfin, mon petit bien-aimé, tâche de ne pas me faire la part de bonheur si petite que je ne sache pas au juste si j’en ai eu et si je suis une Juju heureuse suffisamment. Et puis pense à moi et ne regardez pas trop les portraits plastiques du Daguerréotype Stéréoscope. En attendant, je vous aime, moi au nu et à vif, et je vous adore de fond en comble. Cela ne m’empêche pas de regretter le monsieur au gros ventre qui renfermait l’espoir d’un bon déjeuner à Gorey. Maintenant Dieu sait quand il en surnagera un autre. D’ici là, je tête ma fichue occupation pour une Juju affamée.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16372, f. 159-160
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette


Jersey, 13 novembre 1852, samedi après-midi, 1 h. ½

Encore une journée vide de soleil et de bonheur, mon petit Toto, car je vois que tu ne viendras pas avant ce soir. Je ne t’en fais pas un reproche, mon cher petit homme, mais j’en suis profondément mélancolique et nébuleuse. Voici le jeune Vacquerie qui va à la ville, portant un paquet soigneusement ficelé et enveloppé dans de la toile cirée. Probablement un exemplaire illustré de Napoléon-le-Petit qu’il envoie à l’Élysée avec le portrait de l’auteur. Cette délicate générosité n’est pas indigne de lui et j’avoue qu’à sa place je lui en enverrais plutôt dix qu’un. Hélas ! Tout cela ne fait pas que je sois très heureuse et que ma joie soit immodérée, tant s’en faut. Si j’osais même je serai affreusement triste. Mais comme tu ne me l’a pas permis, je reste NEUTRE comme un membre du Ministère belge. Je ris ni ne pleure ce qui constitue un gouvernement papier gris tout à fait stupide et maussade. Et moi qui m’étais fait la douce illusion de commencer à gribouiller pour votre compte aujourd’hui ! Quel désappointement ! Ce n’est pas qu’il ne soit encore temps, mais j’ai perdu ma superbe confiance dans votre prochaine arrivée. C’est pourquoi je regarde ma journée comme à la Titus, sans le moindre reste. Tout cela n’est pas aussi drôle que vous voudriez le faire croire et je vous serais très obligée de changer votre balançoire pour varier un peu mes déplaisirs.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16372, f. 161-162
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Manuscrits d’œuvres de Victor Hugo à copier.

[2Charles Hugo organise des réunions politiques dînatoires.

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