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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 10 novembre 1852, mercredi matin, 8 h. ½

Bonjour mon ineffable bien aimé, bonjour santé, soleil, joie et bonheur à toi, bonjour. J’avais commencé hier une lettre pour toi, mais j’ai été interrompue à la première ligne par l’arrivée du capitaine lequel m’a fait une si belle peur que j’ai voulu écrire sans désemparer à la mère Lanvin pour lui donner contre ordre au sujet des poulets d’Inde, de mes oies parisiennes. Puis dans le vague espoir que tu me ferais peut-être sortir, j’ai commencé par les lettres ennuyeuses, mais pressées, me réservant pour mes deux gribouillis ou pour une bonne petite promenade, ce qui valait encore mieux. Tu vois que j’ai eu raison puisque tout s’est trouvé comme je le désirais. Aujourd’hui, mon bien-aimé, ce n’est pas le temps qui me manquera pour t’écrire et même pour te faire toutes sortes de restitus. Mais tout ce qui coule de source a l’inconvénient de se ressembler comme deux gouttes d’eau, et, beaucoup de gouttes d’eau pareilles par faire une pluie d’ennui que je ne veux pas faire couler sur ton cœur. Voilà pourquoi mon bien-aimé, je me dispense de multiplier mes élucubrations, quelque douceur que j’y trouve. C’est par égard et par pitié pour toi, et par prudence pour mon amour qui finirait par s’user au frottement de ton embêtement. C’est une idée que j’ai dans la [boule  ?] et qu’il ne vous sera pas difficile de vous colloquer dans votre colloquinte. En attendant la journée se prépare encore plus belle qu’hier, mais je le dis sans la moindre hypocrisie de générosité. Je ne serai pas fâchée que Mamzelle Dédé en profite à son tour, dussé-je ne faire que vous entrevoir. Ce que j’ai dit est dit, je ne le reprends pas quoique ce soit bien dur pour moi. Oh ! bien VOUS allez vous promener tous sans moi, mais tâchez de me voir un peu plus qu’un peu soit avant, soit après, la promenade je vous en supplie.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16372, f. 147-148
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette


Jersey, 10 novembre 1852, mercredi après-midi, 1 h. ½

Plus souvent que j’aurais donné mon consentement à ne pas sortir avec vous si j’avais su que c’était pour aller voir des hommes. Il est vrai que ces hommes sont doublés de femelles suffisamment jolies pour dans une île. Raison de plus pour que je trouve votre abus de confiance parfaitement ridicule et de mauvais goût et je m’en plaindrai au consul Vidocq [1] de Jersey. Vous verrez… Je ne vous dis que ça. En attendant je reprends ma permission… de onze heures et je vous ordonne de revenir tout de suite plus vite que ça. D’abord, j’ai votre gilet à raccommoder et votre cœur à recoudre après le mien ce qui n’est pas une petite besogne, affreux casse-tout, brise-tout avec ses mains. D’ailleurs, il ne fait pas assez beau pour vous promener sans moi et vous feriez bien mieux de TRAVAILLER vilain PARESSEUX que de flâner avec des proscrites. Une autre foisa je ne serai pas si généreuse et si confiante et je ne vous laisserai aller qu’à mon corps défendant. Profitez bien de la superbe occasion que je vous ai si stupidement offerte de moi-même, mais n’y compter pas de longtemps. Une autre fois j’y regarderai à deux mille fois avant de vous livrer des verges pour fouetter les chiennes de femmes que vous connaissez. Taisez-vous, VICTOR HUGO LE GRAND, et n’embêtez plus Napoléon le Petit et la pauvre Juju la crétine ou redoutez nos vengeances réunies. Taisez-vous, taisez-vous, taisez-vous, car je suis capable de tout même de vous aimer comme une lâche que je suis.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16372, f. 149-150
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « autrefois ».

Notes

[1Vidocq : célèbre escroc devenu chef de la police.

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