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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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14 mai 1852

Bruxelles, 14 mai 1852, vendredi matin, 9 h.

Bonjour, mon petit homme, bonjour mon petit bien-aimé, bonjour. Comment vas-tu ce matin ? Comment se porte votre fidélité, monstre d’homme ? Vous vous trompez si vous croyez que je ne suis pas jalouse de vos rêves, surtout lorsqu’ils sont poussés jusqu’à la plus voluptueuse réalité. Aussi, je vous défends d’avoir de ces bonnes fortunes là dorénavant ou je vous fiche des coups et je vais m’installer dans votre lit. Ah ! Mais c’est que je le ferais comme je vous le dis. Je n’ai pas besoin que des fantômes viennent me prendre le pauvre petit RESTE de mon bonheur pendant que je m’en prive à côté. Aussi, je vais vous surveiller de près, soyez tranquille. En attendant, j’ai l’ironique chance de tout gagner au jeu de vive l’amour. Merci, j’aimerais mieux tout perdre et remplacer en chair et en os vos bonnes fortunes fantastiques. Mais je vais y mettre bon ordre, vous pouvez y compter. D’ici-là, il n’y a guère de probabilité que tu puissesa me faire sortir aujourd’hui car le temps paraît pris par la pluie toute la journée ce dont je ne me plaindrais pas si tu viens travailler auprès de moi tout cet après-midi. Pourvu que je sois avec toi, tout m’est bon et je ne désire rien de plus. Tu as paru étonné mon petit homme de la somme que tu me dois, mais en la vérifiant, il sera facile de te rendre compte comment elle s’est produite.
D’une part un 1 mois de déjeuner du 15 avril au 15 mai……..30 ? [F. ou s.]
Pour le loyer de Charles ……….40 [F ou s]
Prêté pour Charles………15 [F ou S ?]
Pour tes dîners, prêté ………….8 [F ou s ?]
Prêté pour ton loyer et tes [ derniers  ?] billets ……100
12 chemises …….120
Raccommodageb du paletot et de la montre 7 [yards ?]…….4
Ce qui fait en dehors du blanchissage, des faro et des pains, des braises, du charbon et de mille petites fournitures un total de 339 [F. ou s.]
Tu vois, mon doux bien aimé, par ces seuls détails comment s’est formé ce chiffre qui t’a surpris. Je n’ai MALHEUREUSEMENT pas la science de l’anse du panier ce qui fait que je ne peux pas profiter de ta défiance. C’est bête, mais c’est vrai. Baisez-moi avec l’intérêt des intérêts, des intérêts, des intérêts.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16371, f. 27-28
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « puisse ».
b) « racommodage ».


Bruxelles, 14 mai 1852, vendredi, midi ½

Comment mon cher petit Toto, vous êtes encore au lit ? Fichtre il paraît que vous vous plaisez dans ce tête-à-tête fantastique avec votre belle de nuit puisque vous le prolongez jusque sous le nez du soleil. Peut-être bien aussi y entre-t-il un peu de paresse et de froid, auquel cas je vous approuve. Quant à moi, qui n’ai aucune raison ostensible ou secrète de rester couchée, je suis sur mes jambes depuis huit heures du matin. Je ne sais pas à quoi passenta mes matinées, mais je les emploie depuis la première minute jusqu’à la dernière sans qu’il en reste une pour moi. Aussi, ce n’est pas du désœuvrement ni de l’ennui que j’éprouve loin de toi, c’est le besoin d’air pour mes poumons, de lumière pour mes yeux, d’harmonie pour mes oreilles, de baisers pour mes lèvres, de vie pour mon cœur, de soleil et de joie pour mon âme. Quand viendras tu mon adoré ? Aussitôt que tu le pourras ; Dieu veuille que ce soit bientôt. Tu as oublié hier de me donner de la copie nouvelle. Je n’en n’ai plus que pour une heure tout au plus. Je vais me dépêcher de la finir pour que tu n’aies aucun prétexte de m’ajourner. C’est ma récréation, mon plaisir, mon bonheur. C’est presque toi. Tout à l’heure M. Luthereau me disait que si tu ne voulais pas conduire Charles à Anvers, il avait l’occasion d’y aller et qu’il pourrait l’emmener. Je n’ai rien voulu lui dire de désobligeant pour la bonne intentionb qu’il avait, surtout en vue de moi, mais je sais qu’à la place de mon pauvre Charlot le voyage d’Anvers ne me serait doux qu’avec toi. Aussi, mon adoré, quoi que ce soit le plus grand sacrifice que je puisse faire à ton Charles et à toi, je te supplie de ne pas le priver ainsi que toi du voyage si intéressant et si charmant de Malines et d’Anvers [1]. Je tâcherai de faire de ma générosité et de mon courage de la patience et du bonheur jusqu’à ton retour. Je t’aime mon Victor. Je t’aime, je t’aime, je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16371, f. 29-30
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « passe ».
b) « intension ».

Notes

[1« Les rares excursions [de Victor Hugo] en dehors de Bruxelles – Louvain en février, où des écoliers des jésuites malgré leurs robes noires, l’avaient escorté en criant “Vive Victor Hugo !”, Hal et Malines en mai – étaient des événements locaux. » Jean-Marc Hovasse, Victor Hugo. t. II. Pendant l’exil. 1851-1864, Fayard, 2008, p. 44.

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