Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1852 > Mai > 13

13 mai 1852

Bruxelles, 13 mai 1852, jeudi matin, 9 h.

Bonjour mon cher petit homme, bonjour ma joie, je te souris, je t’aime et je t’adore. J’ai bien remercié ma petite vierge noire de t’avoir si évidemment préservé hier. Aussi, je lui confie la garde de ton cher petit corps mais je voudrais ne m’en rapporter qu’à moi de la garde de ton cœur et de ton âme pour être plus sûre qu’ils ne m’échapperont pas. Comment vas-tu ce matin, mon petit homme, as tu mieux dormi et plus longtemps que de coutume aujourd’hui ? C’est payé bien cher la belle vue de ta place que de la payer de ton repos de tous les jours. Mais tu ne veux rien entendre là-dessus, il faut donc se résigner à ton sort puisque telle est ta volonté ! J’espère, mon cher petit bien-aimé, que vous me rabibocherez un peu de la triste journée d’hier pendant laquelle je vous ai à peine vu ? D’abord il faudra tâcher de faire une visite au docteur Yvan à moins que le mauvais temps ne soit un obstacle insurmontable. Pour ma part, je dois cette politesse à cet excellent homme qui m’a soignée avec tant d’empressement ; mais ce qui serait bien charmant ce serait que Charles allât dîner en ville sans toi et que tu vinsses dîner avec moi. Mais la régularité de la vie du jeune Charlot ne me laisse rien à espérer de ce côté-là, aussi je renfonce mon envie pour n’en n’avoir pas l’ironique déception ce soir. Je prendrai ce que tu pourras me donner de ton temps et de ta personne et je m’en ferai le plus de joie et le plus de bonheur possible. C’est ce que je peux faire de plus raisonnable pour tous les deux, n’est-ce pas mon adoré bien aimé ? Ô je t’aime, toi, tu ne sauras jamais combien.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16371, f. 23-24
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette


Bruxelles, 13 mai 1852, jeudi midi.

On dit que tu vas bien, mon petit homme, et que tu travailles comme un chien de Belgique. Mais tout cela qui intéresse mon cœur ne me dit pourtant pas si tu viendras me prendre pour aller voir Yvan et à quelle heure tu viendras. Du reste, je serai bientôt habillée ainsi, mon cher petit Toto, je vous attends à n’importe quelle heure. Le soleil a bien de la peine à montrer le bout de son nez pâle. Quant à moi, je vais faire du feu comme en hiver et encore je grelotte. On dit que tu n’en n’as pas chez toi ce matin, ça n’est peut-être pas très prudent car la température est très froide et très humide. Si j’étais auprès de vous, je saurais bien vous forcer à prendre soin de vous et avoir le sens commun du froid et du chaud. Malheureusement toute ma bonne volonté se passe en regret et en rage de ne pouvoir pas l’appliquer. De fait, tout cela est agaçant. Taisez-vous et prenez garde aux rhumes. Je passe ma vie à vous faire ces recommandations là au lieu de vous faire de belles phrases et du beau style, de vous parler politique et beaux-arts, philosophie et PALINGÉNÉSIE [1], philanthropie à cacophonie et pourtant mes moyens me le permettent. Si je ne le fais pas c’est pour ménager votre ignorance et la laisser reposer un peu. Remerciez moi de cette attention délicate et venez bien vite vous réchauffez auprès de moi.
Voici M. Luthereau qui revient de chez le docteur qui l’a trouvé un peu mieux et qui viendra ce soir pour opérer la cuisinière. Donc nous n’avons pas besoin d’y aller aujourd’hui ce qui se trouve on ne peut mieux à cause de l’affreux temps. Mais j’ai besoin de vous voir tout de suite. Venez, venez, venez.

Juliette.

BnF, Mss, NAF 16371, f. 25-26
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Palingénésie : chez les stoïciens, retour périodique des mêmes événements / renaissance des êtres ou des sociétés conçue comme source d’évolution et de perfectionnement (régénération, résurrection) / retour à la vie.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne