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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Bruxelles, 19 février 1852, jeudi matin, 8 h.

Bonjour, mon tout adoré, bonjour ma joie, bonjour mon bonheur, bonjour. Il fait un temps affreux. Je crains que tu n’aies pas de charbon chez toi ce matin et je vais envoyer Suzanne t’en porter à tout hasard. Il vaut mieux en ce cas trop que pas assez. Mon embarras c’est que je ne sais pas si tu seras levé et je ne voudrais pas te réveiller avant le moment surtout après une journée aussi fatigantea que celle d’hier. Enfin je me risque pour t’épargner la chance d’un rhume.
Que tu es bon d’être venu hier tout de suite après ton arrivée, mon Victor, au lieu d’aller passer le reste de la soirée chez M. Van Hasselt ou ailleurs. Je suis bien touchée au fond de l’âme de tout ce que tu fais pour moi, mon pauvre petit homme, il n’y a que les brelans multipliésb et les combinaisons machiavéliques pour me soutirer mes soirs que je n’apprécie pas comme je le devrais. D’ailleurs je m’amuse autant à regarder votre jeu qu’à jouer moi-même, ainsi il n’y a pas de mal, mais que je suis donc contente que tu sois revenu de cette excursion. Je ne me suis jamais opposée à ce que tu la fassesc, mon doux adoré, mais il m’en coûtait beaucoup de consentir à ton absence. Et puis j’étais doublement triste de penser que tu reverrais cette charmante petite ville sans moi [1]. Il me semble toujours injuste et presque impie que tu puisses être heureux sans moi surtout dans les endroits témoins de notre bonheur mutuel. C’est bête mais c’est vrai, ce n’est pas ma faute. Enfin t’en voilà revenu je suis bien heureuse.
Ton Charles s’est bien amusé, tout est pour le mieux. Si de nouvelles combinaisons de promenades se présentaient j’espère que tu trouverais moyen de m’y intercaler, non pas pour le plaisir de changer de place ou de voir du nouveau, mais pour le bonheur si nécessaire à ma vie d’être avec toi et le plus près de toi possible. Pourtant quand cela ne se pourra pas, mon adoré bien-aimé, j’aurai la raison de me résigner comme hier en souhaitant que tu t’amuses et que tu me reviennes le plus vite possible. Jusque là je t’aime de toutes mes forces et je t’adore de toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16370, f. 115-116
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « fatiguante ».
b) « multipliées ».
c) « fasse ».


Bruxelles, 19 février 1852, jeudi après-midi, 1 h. ½

Est-ce que tu ne viendras pas un peu de bonne heure aujourd’hui mon Victor ? Maintenant nous ne nous voyons plus que le soir en public. C’est bien doux mais ce n’est pas l’intimité. Voilà bientôt trois semaines que nous n’avons échangé une véritable caresse. Tu ne t’en aperçois pas mais moi je compte les jours, les heures et les minutes et je sais qu’il y a bien longtemps que nous n’avons été heureux de ce bon et vrai bonheur d’être ensemble sans témoin. Si tu pouvais venir travailler un peu à côté de moi, sans te gêner, cela me rendrait bien heureuse. Tâche que ce soit aujourd’hui mon Victor et je te promets de te laisser gagner tout mon argent ce soir. Encore une autre scie pour toi, mon pauvre homme, c’est la lettre au directeur de la douane [2]. Je t’en prie débarrasse-toi de cet ennui le plus tôt possible. Cela devient de plus en plus urgent. Il faudra aussi que tu écrives un petit mot aux Montferrier. Tu les comblerais d’honneur avec quelques lignes de cordiale gratitude. Voilà tout ce que je te demande pour le moment, mon Victor, est-ce donc si difficile ?
Si j’avais su que ta chambre à coucher était tout à fait séparée du salon je n’aurais pas eu de scrupules à envoyer chez toi ce matin. Maintenant je ne me gênerai pas pour y faire aller Suzanne même quand tu ne l’attends pas car il n’y a aucun danger de rencontrer Charles aux heures matinales et tu pourras être couché avec toutes les tabatières sans que le trou de la serrure te trahisse. C’est beaucoup plus commode que je ne croyais car je pensais que les deux pièces se commandaient et donnaient l’une dans l’autre. Décidément ce logis est moins bête qu’il n’en aa l’air. J’y aurai l’œil. Maintenant vous êtes prévenu que JE SAIS TOUT et bien autre chose tenez-vous sur vos gardes, je ne vous dis que ça.
Vous seriez bien gentil de m’apporter vos volumes de poésie. D’abord ils seraient plus en sûreté chez moi que chez Charles et même chez vous. Tâchez donc de me les donner en garde, cela me fera tant de plaisir. En attendant je vous aime plus que vous ne voulez.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16370, f. 117-118
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « n’en n’a ».

Notes

[1La veille, Hugo est allé à Louvain avec son fils Charles et Van Hasselt.

[2Juliette veut récupérer les couverts d’argent de Suzanne bloqués à la douane.

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