30 décembre 1852

Jersey, 30 décembre 1852, jeudi matin, 8 h. ½

Bonjour, mon cher petit homme absent, bonjour ma chère petite âme présente, bonjour mes deux Toto, bonjour. Mes lèvres et mon cœur vont de l’un à l’autre sans se lasser. Il me semble que je suis moins seule maintenant. Cette nuit j’entrevoyais la forme du petit cadre sur mon mur et il me semblait que je t’entendais aller et venir dans mon âme. Enfin je n’étais plus seule. Il y avait devant mes yeux l’écho de ta chère petite personne adorée qui se répercutait d’amour en amour jusqu’au fin fond de mon cœur. Il me semblait que mes caresses t’arrivaient plus directement en en chargeant ton cher petit portrait. Je me sens moins loin^a de toi depuis que je vis avec ta chère petite image. Dans ma reconnaissance et pour ne pas être seule heureuse, je prie Dieu de toutes mes forces de t’accorder ce que tu désires le plus dans ce moment-ci. Ô mon Victor béni, si cela dépendait de moi, rien ne manquerait à ton bonheur autant que rien ne manque à ta gloire, tu serais le plus heureux des hommes comme tu en es le plus sublime et plus adoré. Mais le bon Dieu a sa jalousie divine comme le cœur humain et il s’est fait rival de mon amour. C’est de lui maintenant que dépend ta suprême joie. Je n’y peux rien personnellement mais je n’en serai pas humiliée si comme moi il te l’accorde pleine et entière et sans condition. En attendant, je vais ne penser qu’à toi et t’aimer de toutes mes forces. Du reste il fait un temps d’espérance et de bonté, le ciel est doux et clément comme une promesse et un pardon. J’ai le cœur plein de confiance. À bientôt mon Victor adoré. À toujours mon amour.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16372, f. 331-332
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « loing ».