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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 6 décembre 1852, matin 9 h.

Bonjour, mon cher petit homme, bonjour, mon tout aimé, bonjour. Je pense avec inquiétude que tu travailles dans une chambre sans feu par cette grande humidité si pénétrante. Déjà tu es très enrhumé et ton travail surexcitant t’allume encore le sang. Vraiment, c’est bien triste de te savoir exposé à des accidents graves sans pouvoir les empêcher. Sentir en soi tant de sollicitude, de dévouement et d’amour sans pouvoir les employer à préserver celui qui en est l’objet est un supplice dont tu ne peux pas avoir l’idée. Mon pauvre bien-aimé, je devrais t’épargner l’ennui de lire ces regrets impuissants mais c’est que j’espère toujours éveiller en toi, à force de redites, un peu d’instinct de conservation qui te poussera peut-être jusqu’à demander qu’on te fasse du feu matin et soir, enfin tout le temps que tu travailles dans ta chambre. Oh ! si j’étais auprès de toi je n’attendrais pas tes ordres et je ne t’en demanderais même pas la permission. Je te soignerais sans que tu t’en aperçoivesa et malgré toi s’il le fallait. Malheureusement, j’assiste à ton insouciance de loin, sans pouvoir y parer. C’est ce qui me tourmente et me rend souvent très malheureuse. Mais ce n’est pas une raison encore une fois pour t’en faire un éternel et stupide rabâchage. Mieux vaudrait peut-être tâcher de te le faire oublier comme on [illis.] le rôti. Mais à l’impossible aucune Juju n’est tenue.

BnF, Mss, NAF 16372, f. 233-234
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « aperçoive ».


Jersey, 6 décembre , lundi matin, 11 h.

Est-ce que tu ne pourrais pas venir baigner tes pauvres yeux [1] fatigués en allant à ta commission tantôt, mon cher petit homme ? Je l’espère et je le désire dans l’intérêt de tes chers yeux adorés et dans celui de mon cœur qui ne s’arrange que très mal de ne pas te voir du matin au soir. Il y a aujourd’hui un an que j’ai quitté mon logis de la cité Rodier [2] pour n’y plus revenir. Dieu sait que je ne le regrette pas surtout depuis que je te l’ai donné. Je dirai même que la pensée de me sentir ici auprès de toi, de t’y savoir en sûreté m’empêche de regretter ou de désirer quoi que ce soit de la vie de Paris. Si je pouvais être sûre qu’il en est de même pour toi je serais aussi parfaitement heureuse ici que dans la chère petite maison des Metz [3] où rien ne manquait à mon bonheur. Mais je sais que tu as d’autres besoins que les miens et que tu dois souffrir intérieurement de certaine privation de l’esprit et du cœur que mon amour ne peut pas te remplacer. Aussi, mon pauvre bien-aimé, je te plains et je souffre de ne pouvoir pas te donner le suprême bonheur comme tu le rêves et comme Dieu seul pourrait te le donner. Et puis je redouble d’amour et d’adoration. Je t’attends l’âme et le cœur impatients.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16372, f. 235-236
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette
[Souchon]

Notes

[1Hugo souffre de maux ophtalmiques particulièrement aigus avant l’exil qui peuvent aller jusqu’à l’aveuglement. Cf. Jean-Marc Hovasse, « La vue de Victor Hugo », L’Œil de Victor Hugo, actes du colloque Musée d’Orsay / Université Paris 7, Éd. des cendres, 2004, p. 3-25. Hugo a l’habitude de venir baigner ses yeux chez Juliette.

[2Adresse du dernier domicile de Juliette à Paris.

[3La Maison des Metz située dans la vallée de la Bièvre est louée durant les mois de septembre 1834 et 1835 par Hugo. Juliette y séjourne alors que la famille Hugo passe des vacances à proximité dans la propriété des Bertin, Les Roches.

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