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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Bruxelles, 14 juillet 1852, mercredi après-midi, 3 h.

Je viens de finir la copie [1], mon bien aimé, je m’y étais mise d’arrache plume à 6 h. ½ Exceptés la plus sommaire toilette et l’heure du déjeuner, je n’ai pas pris le temps de me gratter le bout du nez tant je tenais à l’honneur que tu n’attends pas après moi. Maintenant que je suis au large j’en profite pour te griffouiller quelques bonnes tendresses que tu prendras sans trop regarder car je suis un peu fatiguée et j’ai de plus un petit sentiment d’hypocondrie que j’attribue à l’état de ma santé. Cela ne m’empêche pas pourtant de sourire au bonhomme de Péronne [2] et au projet de Waterloo bien que je rencontre une résistance menaçante de la part des sociétaires qui trouvent fort dur de nous faire manger à nous seuls la poule sans queue sous forme de voiture et de villégiature historique. Quant à moi je ferai ou ne ferai pas ce que tu voudras, me souciant comme de la bourrique à Robespierre [3] de l’opinion et du plaisir des autres. Je suis même assez bien préparée pour me passer de mon propre bonheur. Ainsi quoi qu’il arrive j’accepte d’avance toutes les combinaisons, depuis la plus ébouriffante jusqu’à la plus mythifiante, je suis armée en guerre pour les deux cas. La dernière décision de ta femme remet le voyage de Jersey encore une fois sur l’eau. Le feras tu avec Charles, le feras tu sans Charles, le feras tu même ? Voilà la question. Question que je n’ai pas pu te poser tant tu es occupé et préoccupé. Si tu as un moment ce soir ou demain je me hasarderai à t’en toucher un mot et puis, mon cher petit homme, sois sûr que rien n’est plus loin de ma pensée que de te contrarier en quoique ce soit surtout lorsqu’il s’agit de ton repos, de ta dignité et de ta gloire dont je suis aussi jalouse que de ton amour. Le peu d’habitude que j’ai de t’avoir chez moi le matin pendant le va et vient du ménage fait que j’ai manqué de présence d’esprit. Mais l’austérité de ma vie et l’ombre dans laquelle je me tiens ne prêtant pas aux cancans et je crois que de ce côté-là tu n’as rien à craindre même des plus malveillants. Mais cela ne m’empêchera pas à l’avenir d’être plus circonspecte et plus polie. En attendant je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16371, f. 163-164
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Copie du manuscrit de Napoléon le Petit.

[2Le 25 mai 1846, Louis-Napoléon Bonaparte s’était évadé du fort de Ham, près de Péronne, où il était emprisonné depuis six ans.

[3« La bourrique à Robespierre : Surnom donné par le peuple au général Hanriot, personnage incapable, souvent ivre, mais obéissant fidèlement au Comité de Salut public et à Robespierre. » (CNRTL).

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