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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Bruxelles, 13 juillet 1852, mardi matin, 7 h.

Bonjour, mon bon petit homme, bonjour mon pauvre sublime laborieux, bonjour. Comment vas-tu ce matin ? Je crains que l’excessive fatigue et l’excessive surexcitation dans lesquelles tu te trouvais hier ne t’aient encore empêché de dormir cette nuit. J’ai hâte pour ta santé que tu aies fini ton livre [1] pour que tu puisses prendre un peu de repos. Mais il en sera de lui comme de notre bonheur que nous entrevoyons sans cesse sans pouvoir y atteindre jamais. À la rigueur, on peut vivre sans bonheur mais il est difficile de vivre longtemps sans le repos. Aussi, mon cher petit bien aimé, je voudrais te voir songer sérieusement à vivre quelque temps de la vie humaine. Quant à moi, mon pauvre doux adoré, je m’applique de mon mieux à vivre de la vie passive et inutile que la Providence m’impose et je tâche le plus que je peux de me résigner à mon sort qui n’est rien moins que gai. Il me paraît difficile que ta famille hésite un instant à venir te retrouver tout de suite, ayant toute latitude de le faire [2]. Il est donc très probable qu’elle soit ici dans deux ou trois jours. Il est également impossible que le voyage de Jersey ne se fasse pas avec elle. Ainsi à partir de jeudi je vais me trouver encore une fois séparée de toi presque entièrement et n’ayant pour toute compensation dans l’avenir que de voyager toute seule dans un pays dont je ne connais pas la langue. Encore si ce voyage avait un but, une utilité, pour quelqu’un ou pour quelque chose, je trouverais dans ce dévouement le courage de supporter mon isolement. Mais quand je pense que tu t’imposes l’obligation de me traîner partout avec toi sans autre bonheur que celui d’un devoir accompli envers une pauvre créature que tu as aimée autrefois, j’éprouve une sorte de honte à accepter cette situation et je suis tentée de m’enfuir si loin que tu ne puisses plus entendre parler de moi. Sois sûr, mon pauvre généreux adoré, que le premier moment d’étonnement passé, que les premiers jours d’habitude oubliés tu te trouverais plus à l’aise et plus heureux moi partie que moi présente avec ma figure triste, mon cœur [déçu ?] et mon âme vide d’espérance.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16371, f. 161-162
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Napoléon le Petit. Le 13 juillet Victor Hugo écrit à sa femme : « […] J’ai fini hier Napoléon-le-Petit. J’ai commencé à l’écrire le 14 juin. Je pense qu’il paraîtra du 20 au 25 […] », CFL, t. VIII/2, p. 1019.

[2Mme Hugo et Adèle, la fille cadette de la famille, accompagnées d’Auguste Vacquerie rejoindront directement Jersey sans passer par Bruxelles. Victor Hugo voyagera avec son fils Charles. Quant à Juliette elle devra, pour convenances sociales, se tenir à distance de son « sublime adoré » durant toute la traversée.

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