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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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26 mars 1852

Bruxelles, 26 mars 1852, vendredi matin, 8 h.

Bonjour, mon doux adoré, bonjour, je t’aime. Je voudrais que chaque lettre de ce mot, je t’aime, t’entre dans le cœur comme un rayon bienfaisant, comme une douce joie, comme une consolation et une espérance. Comment vas-tu ce matin, mon bon petit homme ? Bien, n’est-ce pas ? Quant à moi la pensée de passer une partie de la journée avec toi me rend légère de corps et d’âme. Peu m’importe le prétexte pourvu que je te voie. Aussi, mon Victor, j’espère que tu n’oublieras pas l’heure. J’ai déjà eu hier au soir le regret d’avoir oublié moi-même les deux gribouillis qui pouvaient t’y faire penser et dans lesquels je te suppliais de tâcher de dîner avec moi aujourd’hui. Mais si tu es seul je t’en ferai donner un par Suzanne. J’aurais voulu que ton retour si attendu et si désiré n’ait pas été une déception pour ton pauvre Charlot. Mais il a tant d’autres occasions pour se rattraper et tant de temps et de bonheur devant lui que tout en le plaignant de sa petite déconvenue d’hier j’en ai profité de toutes mes forces et de toute mon âme. Ça n’est pas de ma faute. Cela ne m’empêche pas d’être très inquiète de ma CHANCE. J’espère qu’elle ne continuera pas sur ce ton-là, ou je vous fiche des coups. Je n’ai pas besoin de gagner de l’argent, moi, j’ai besoin d’en perdre au contraire, c’est mon chica. Ainsi tenez-le vous pour dit. Maintenant baisez-moi avec le plus vif empressement. Dépêchez-vous tout de suite et aimez-moi à fer et à clous pour que cela tienne mieux.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16370, f. 253-254
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « chique ».


Bruxelles, 26 mars 1852, vendredi matin, 11 h.

Le temps a beau faire la grimace, je n’en continue que de plus belle à être très contente et très joyeuse. Qu’il pleuve, qu’il neige, qu’il vente, qu’il grêle, tout cela ne peut pas m’émouvoir puisque je serai avec vous. Mais ce qui mettrait le comble à mon bonheur ce serait si vous restiez à dîner aujourd’hui. Mais c’est si peu probable que je ne m’arrête pas trop devant cet espoir impossible à réaliser. Je me contente de ce que tu peux me donner, mon bien-aimé, et je t’assure que je suis déjà bien heureuse. Tâche de ne pas trop te faire attendre, car le Van Hasselt sera exactement à 1 h. chez les Yvan. Tu sais que la course en montant est bien plus longue pour moi qu’en descendant. Mais où diable vais-je t’entretenir de toutes ces recommandations que tu ne liras que lorsqu’elles ne pourront plus servir à rien, c’est ridicule, au lieu de te gribouiller des lettres dans le goût de la Nouvelle Héloïse [1]. Avec cela que j’y suis toute portée je n’ai qu’à changer de style, c’est aussi simple que cela et il faudrait n’en avoir pas dans sa poche pour s’en priver. Voime, voime, mais je préfère ma manière à celle du sieur J.-J. Rousseau. C’est aussi niais mais moins rococo. Voilà mon opinion. Si elle choque la vôtre j’en suis fâchée, et je suis femme d’ailleurs à vous en rendre raison à pied, à cheval, au lit et en voiture, partout et ailleurs.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16370, f. 255-256
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

Notes

[1La Nouvelle Héloïse : roman épistolaire de Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) publié en 1761.

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