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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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21 mars 1852

Bruxelles, 21 mars 1852, dimanche matin, 7 h. ½

Bonjour, mon cher bien-aimé, bonjour avec le printemps, bonjour avec l’amour, bonjour avec le soleil, bonjour avec le bonheur, bonjour. C’est aujourd’hui que nous dévorons cette fameuse olla podrida [1] à laquelle nous avons tous contribué. Je ne sais pas si elle sera du goût de tout le monde, mais je suis sûre qu’elle sera du mien parce que son principal assaisonnement sera votre présence. Avec cela il n’y a pas de carnero de ternero coriaces qui ne deviennent des tendrons mangés en votre compagnie. Aussi, mon Victor, quelle quea soit la saveur du puchero [2] je m’en régale d’avance et je le goûte très fort. Aussitôt après cette guindaille monstre il faudra travailler à la confection d’un autre sous la forme bouillabaisse. C’est la seule manière de vous attirer maintenant car vous préférez le cul d’une marmiteb bien garni à tous mes appas. Vous n’avez peut-être pas tort et loin de vous en faire un reproche, je cherche de nouvelles séductions du même genre pour vous faire revenir plus souvent. Si j’avais en la mère Luthereau une auxiliaire plus gastronome et plus intelligemment goinfre je pourrais espérer vous avoir plus souvent mais cette brave femme n’entend rien à la goinfrerie distinguée et encore moins à l’amour savant. Je me vois donc réduite à mes propres forces. C’est FAIBLE. Cependant je ne perds pas courage, au contraire. Et tant plus vous êtes difficile à prendre et tant plus je persévérerai. ATTRAPÉ !

Juliette

BnF, Mss, NAF 16370, f. 233-234
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « quelque ».
b) « marmitte ».


Bruxelles, 21 mars 1852, dimanche midi

Je t’ai fait demander tes deux fourchettes, mon petit homme, parce que Mme Luthereau n’a pas assez de couverts. Tu as dit qu’on vienne les chercher à 1 h. Si tu crains la présence de Charles il me semble qu’il y a plus de chance qu’il y soit à cette heure-là qu’à une autre. Pourquoi répugnes-tu tant à ce qu’on aille chez toi vers le soir ? Est-ce qu’il y a d’autres inconvénients que je ne devine pas, tu devrais me les dire ? Cela m’épargnerait la peine de les chercher et à toi l’ennui de lire mes réflexions plus ou moins saugrenues. Mais je ne veux pas gâter mon bonheur d’aujourd’hui par des inquiétudes prématurées. Je veux au contraire être très confiante et très heureuse quitte à être très trompée et très malheureuse après. On ira chez vous dans une heure et on sera très contente, très souriante et très dévorante ce soir. Il fait trop beau pour être triste et jalouse. Allons, mon petit homme, profitez de cette bonne disposition pour faire vos farces pendant que je vais aider au puchero [3]. Ce pauvre puchero a déjà de beaucoup dépassé son budget. Il est vrai que Mme Luthereau, qui ne s’y connaît pas et que cela ennuie, a acheté à tort et à travers des choses qui ne peuvent pas servir. 1 F. de pieds de céleri ! Et le reste à l’avenant. C’est stupide, mais qu’y faire ? Quant à moi je suis résolue à le trouver bon quand même et à être très heureuse à n’importe quel prix. Je t’attends, je t’espère, je t’aime. Le reste m’est égal comme deux œufs. Vive l’amour et le puchero.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16370, f. 235-236
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Olla podrida : Ragoût (spécialité espagnole).

[2Mets, plat ou marmite en espagnol.

[3Puchero : Mets, plat ou marmite en espagnol.

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