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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Bruxelles, 1er janvier 1852, jeudi, midi ½

Mon Victor bien-aimé, je suis allée tantôt à la nuit à Sainte-Gudule [1]. J’ai préféré aller dans cette église que nous avions visitée ensemble, où je pouvais retrouver la trace de ton pied, où j’avais laissé une prière pour toi autrefois comme une lampe allumée pour l’éternité et l’honneur de ta gloire. J’ai revu toutes les belles choses que nous avions admirées autrefois ensemble. J’étais heureuse de retrouver intacts tous ces pieux et doux souvenirs de notre bonheur passé. Je t’aimais, je priais, je bénissais Dieu et je le suppliais de te rendre tout ce que tu regrettais et de t’accorder tout ce que tu désiresa. Il me semble qu’il m’a entendue car je suis sortie de là guérie, de malade que j’étais, calme et tranquille, de tourmentée et d’inquiète que je suis souvent. Enfin, mon Victor, j’y étais entrée avec des larmes dans les yeux et j’en suis sortie avec le sourire sur les lèvres. Il me semblait que je venais de passer un pacte avec le bon Dieu qui assurait à tout jamais ta santé, ton repos, ta gloire et ton bonheur. Oh ! Tu seras heureux, va, j’en suis bien sûre maintenant.
Quant à moi je suis bien tranquille puisque tu m’aimes. Aussi je n’ai rien demandé pour moi personnellement car je prétends partager toutes tes joies puisque j’ai le droit de vivre et de mourir pour toi. Mon Victor bien-aimé, tes lettres ont le pouvoir de m’enivrer au point que je ne sais plus ce que je dis, plus je les relis et plus mes pensées exaltées battent les murs de mon pauvre cerveau sans pouvoir en sortir [2]. Tu sais que c’est un effet physique et moral auquel je n’ai jamais pu ni voulu me soustraire car cet état me plaît et je voudrais pouvoir y rester toute ma vie.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16370, f. 1-2
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette
[Souchon]

a) « désire ».


Bruxelles, 1er janvier 1852, jeudi après-midi, 4 h.

Quelles ravissantes lettres, mon bien-aimé, quelle admirable famille que la tienne, mon grand Victor ! Je n’avais pas besoin de pénétrer si avant dans leur supériorité respective à tous pour savoir combien tous ces doux et vaillants êtresa devaient te manquer mais je comprends plus que jamais tout ce qu’il y a d’héroïque abnégation et de sublime sacrifice à toi à risquer le bonheur de toute cette admirable famille et le tien propre pour l’honneur de la France et l’intérêt de la civilisation tout entière. Mais après le calvaire il y a l’auréole, comme tu le dis, la tienne mon bien-aimé, doux adoré, se composera de tout ce que le cœur et l’intelligence humaine ont de plus reconnaissant et de plus admiratif. Tu seras béni et consacré comme le second Dieu Sauveur. Oh va, je sens bien tout ce que l’avenir te garde de gloire et de bonheur. Seulement je ne sais pas te le dire parce que ma pensée se déchire aux ronces de mon ignorance. Pardonne-moi d’être si peu digne de toi et de mêler ma poussière grise et terne à l’ÉTINCELANTb sable d’or de l’esprit de tes éblouissants enfants. Tu sais que ce n’est pas par outrecuidance que je le fais. Je le fais par amour par admiration et par excès d’adoration. Je t’aime avec la conscience de mon infériorité comme femme, mais avec la certitude que mon amour est le premier de tous depuis qu’il y a des âmes créées pour aimer. Mon Victor, mon bien, ma vie, ma joie, mon bonheur, je t’adore à rendre le bon Dieu jaloux et les anges honteux de leur indifférence.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16370, f. 3-4

a) « être ».
b) « étincellant ».


Bruxelles, 1er janvier 1852, jeudi soir, 7 h.

Tu t’attardes beaucoup, mon cher petit homme mais je comprends de reste qu’on ait peine à te relâcher quand par hasard on a le bonheur de te tenir. Je sens aussi tout l’attrait de curiosité et de cœur qu’ont pour toi toutes les personnes arrivant de Paris et de la part de ta chère famille. Aussi mon Victor, loin de m’étonner et d’en être fâchée, j’entre avec courage dans toutes ces bonnes raisons et je te dis que tu fais bien. Fais tes affaires, mon adoré, vois le plus possible tout ce qui rend ta famille plus présente à ton cœur pourvu que tu m’aimes et que je ne sois pas un obstacle ou un remordsa dans ta vie. Je me soumets et j’accepte toutes les nécessités officielles et privées de la tienne, cela m’est d’autant plus facile dans ce moment-ci que je sais que tu ne peux pas prolonger de plus d’une heure ton absence.
ATTRAPÉb ! Pour me faire prendre encore plus aisément patience je me suis occupée de la mansarde de Suzanne. Demain, décidément, on en aurac une au prix de 3 [illis.] par mois mais on verra quand la chose sera exécutée comment vous vous tirerez de vos fanfaronnades imprudentes. Jusque-là je suis forcée de me tenir pour satisfaite en apparence. Mais je vous préviens que j’aurai d’horribles exigencesd aussitôt la sus-dite Suzanne hors de mes murs. Jouissez de votre reste de forfanterie car bientôt vous en serez pour votre courte honte. Taisez-vous car je sens que je me monte un peu ce qui est tout à fait contraire à ma douleur de cœur. J’aimerai mieux que vous me baisiez sur l’heure.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16370, f. 5-6
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « remord ».
b) « attrappe ».
c) « on n’en aura ».
d) « exigeances ».

Notes

[1Avant l’exil Victor Hugo et Juliette Drouet ont séjourné à Bruxelles en août 1837. Dans une lettre datée du 17 août adressée à Adèle Hugo, l’épouse légitime, Victor Hugo exprime l’émerveillement suscité par la visite de l’église Sainte-Gudule et souligne le caractère exceptionnel des vitraux, de l’architecture ogivale et de la chaire. Il regrette cependant le badigeon employé pour couvrir les élévations. Depuis les tours de l’église la vue offerte sur la ville a également enchanté le poète.

[2La lettre de Victor à Juliette datée du 31 décembre 1851, huit heures du soir est pleine d’espérance : « Mon doux ange bien-aimé, voici l’année qui finit, année de douleurs, année de luttes, année d’épreuves. L’année qui commence sera l’année d’espérance, de joie et d’amour […] Vois-tu Dieu ne frappe jamais tout à fait ; il nous a jetés ici, mais ensemble. Qu’il soit béni ! […] » (Massin, t. VIII, p. 1100-1101).

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