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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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24 décembre [1841], vendredi, midi ½

Bonjour mon petit Toto, bonjour mon cher petit homme, bonjour mon vieux Chinois [1]. Je savais bien que vous ne viendriez pas, aujourd’hui que vous étiez libre de toute Académie. Je vous connais comme si je vous avais fait, ce n’est pas une fameuse connaissance, je vous en réponds. Taisez-vous.
Comment allez-vous ce matin, monstre ? Moi, je vais bien et je vous aime comme si je n’étais pas furieuse contre vous, mais voilà comme je suis, moi, sans amour mais pas SANS CŒUR comme vous. J’ai le sieur Jacquot sur mon lit qui joue avec mes plumes en attendant qu’il joue avec mes doigts pour les dévorer. Je suis sur mes gardes et je lui promets une pile soignée s’il a cette audace. Le voilà sur ma table de nuit, j’aimerais mieux autre chose parce qu’il va me la déchirer justement. Que le diable l’emporte et la SERVADE aussi pour n’avoir pas éloigné cette lettre. Ah, le voici revenu sur son bâton.
Dites donc, mon Toto, je n’ai plus que sept jours pour avoir ce que je désire le plus APRÈS VOUS [2]. QUEL BONHEUR ce jour-là ! Quel dommage que ce hideux Barbedienne n’ait pas voulu compléter mes étrennes par votre petit médaillon [3]. J’aurais été au grand complet, en supposant que l’ORIGINAL sea soit trouvé à son poste. Enfin, comme il faut toujours désirer QUELQU’UN ou QUELQUE CHOSE, je vous désire depuis un bout de l’année jusqu’à l’autre et je désirerai le médaillon jusqu’à ce qu’il plaise à Dieu, à Barbedienne et à Collasb de me le donner [4]. Sur ce, baisez-moi à cette distance, nous ne nous mordrons pas, ce sera plus sûr que mon doigt dans le bec de Jacquot. Baisez-moi toujours, sinon de fait, au moins d’intention, et pensez à revenir bien vite auprès de votre pauvre Juju qui vous aime de toutes ses forces, de tout son cœur et de toute son âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16347, f. 241-242
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « ce ».
b) « Colas ».


24 décembre [1841], vendredi soir, 4 h. ½

Tournez votre cher petit museau de mon côté, mon amour, que je vous y dépose un monceau de baisers tous plus chauds les uns que les autres attendu le lieu d’où ils viennent.
Je vous dirai que j’ai eu tout à l’heure, pour la seconde fois, la visite du facteur à qui j’ai donné 1 F. en échange d’un almanach de 4 sous. En outre, j’ai payé un carreau de salle à manger que la bonne avait eu l’esprit de casser hier au soir. Depuis ce matin, j’achète des tripoli [5], des grèsa, des eaux [seconde  ?] et de cuivre, du savon noir et blanc, de l’encaustiqueb à noyer et à acajou, bref je me ruine pour ma fin d’année, c’est toujours ça.
Mais vous, mon Toto, que faites-vous, où êtes-vous, qui aimez-vous et quand viendrez-vous ? Plus je vous désire, plus je vous aime et moins vous venez, ceci est depuis un bout de l’année jusqu’à l’autre. Je m’y habitue de moins en moins, ce qui devrait vous encourager à ne pas continuer. Tâchez donc, mon petit bien-aimé, de venir tout de suite, vous me ferez tant de bonheur que vous serez bien payé de l’effroyable effort que vous aurez fait. Je ne vous demande pas à sortir ce soir parce que ce serait inutile mais je vous prie de venir de bonne heure et de rester un peu longtemps. Je vous aime, mon Toto, vous ne saurez jamais combien.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16347, f. 243-244
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « grè ».
b) « anscottic ».

Notes

[1Juliette appelle Hugo ainsi car il éprouve un intérêt tout particulier pour cette culture. Il en parle dans ses œuvres et collectionne aussi chez lui de nombreux objets de Chine.

[2À l’occasion de la nouvelle année, Hugo écrit toujours à Juliette une lettre qu’elle conserve précieusement dans le Livre rouge, et elle aime faire le décompte des jours qui la séparent des cadeaux qu’elle attend.

[3Juliette a fait fondre par Ferdinand Barbedienne un buste de Hugo qu’elle a enfin reçu le 29 novembre. Cependant, elle attend aussi de lui un médaillon contenant le portrait de son amant, mais le 20 novembre, elle redoutait qu’il ne fasse banqueroute. Depuis, elle demande donc instamment à Hugo de la mener à la fonderie.

[4Barbedienne s’est associé en 1838 avec l’ingénieur mécanicien Achille Collas (1795-1859), inventeur d’un procédé de reproduction en bronze et d’objets d’art à échelle moindre.

[5Variété de farine fossile siliceuse, utilisée comme poudre abrasive.

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