Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1841 > Décembre > 21

21 décembre [1841], mardi soir, 7 h. ¾

Vous êtes content, affreux bonhomme, n’est-ce pas, de m’avoir fait casser les jambes et de m’avoir bien taquinéea comme un Jacquot ? Une autre fois je vous réchaufferai les pieds aussi, allez, soyez tranquille. Ô Dieu, en parlant de pieds, j’aurais bien besoin de quelqu’un pour me les réchauffer dans ce moment-ci car je ne les sens plus. Je ne me suis pas encore approchée du feu mais aussi j’ai une onglée soignée. J’ai toujours trente-six tours à faire DANS MON MÉNAGE, ce qui me tient toujours trois ou quatre bonnes heures en l’air. Cela vous étonne, gros garçon, mais c’est comme ça. Ce soir, j’ai écrit à Mlle Hureau et à ma fille, c’est encore du temps de perdu. Tout cela me serait égal si c’était le jour mais dès que vient la nuit, je ne sais plus ni me bouger ni rien faire de bon. C’est ce qui cause mon désespoir quand je vous vois flâner PAR MÉCHANCETÉ dans le lit jusqu’à la nuit. Vous êtes un monstre, mais un monstre que j’aime et que j’adore, un monstre charmant enfin. Baisez-moi, scélérat, je vous pardonne.
Dites donc, à propos de pardon, il me semble que vous mettez bien des chemises BLANCHES depuis hier et bien des caleçonsb blancs ? Qu’est-ce que cela veut dire ? Prenez garde que je ne découvre quelque affreux pot aux roses car alors, vous ne seriez pas comme vos chemises blanches, BLANC [1]. Je vous houspillerais d’une jolie façon et je ne vous laisserais pas cheveux sur cheveux ni nez sur pattes, je vous en flanquerais une, de volée, dont vous vous souviendriez toute votre vie. Où êtes-vous, monstre, que faites-vous et qui TRAHISSEZ-VOUS [2] ? Je voudrais bien voir votre chien de museau et sortir un peu avec vous sous prétexte de VOIR LES BOUTIQUES [3]. Vous seriez bien gentil si vous veniez me chercher ce soir, hélas ! je n’y compte pas et je fais bien car vous n’êtes pas homme à persévérer dans les bonnes habitudes de la semaine dernière. Me voilà BOUCLÉE au moins jusqu’à l’année prochaine, trop heureuse si je peux agripper par ci par là quelques petits moments de bonheur à DOMICILE. Baisez-moi, je vous aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16347, f. 233-234
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « taquiné ».
b) « calçons ».

Notes

[1Juliette déplore et suspecte l’élégance nouvelle de Hugo, consécutive à son élection à l’Académie française.

[2Réplique d’Amy à Varney dans le drame Amy Robsart (joué en 1828), œuvre posthume de Hugo, acte III, scène 4 : « Qui trahissez-vous ici ? ». Le 1er janvier 1822, Alexandre Soumet, poète classique, sollicite Victor Hugo pour un travail de collaboration, dans une perspective purement pécuniaire, afin d’adapter une comédie de Kenilworth, le tout nouveau roman à succès de Walter Scott. La pièce s’intitulerait Emilia. « Le partage des tâches est planifié : trois actes pour Victor Hugo, deux actes pour Alexandre Soumet. » Mais des dissensions les opposent et, « en toute amitié, le travail de collaboration est abandonné. Chaque auteur reprend ses actes. […] Emilia est remisée dans un carton ». Cinq ans plus tard, Victor Hugo la corrige pour la transformer en un drame : Amy Robsart, à la demande de son beau-frère Paul Fouchet ‒ si l’on en croit Adèle Hugo ‒ qui souhaiterait s’en attribuer la paternité. « Leur grand rival, Alexandre Soumet, a fait jouer Emilia au Théâtre-Français le 1er septembre 1827, avec à la clé un énorme succès, public et financier. Les représentations se sont multipliées. Tout Paris a vu la prestation de Mademoiselle Mars dans son rôle de folle ». Et le 13 février 1828 a lieu la 1ère d’Amy Robsart, présentée officiellement comme écrite par Paul Foucher même si les critiques ne sont pas dupes. « Emilia et Amy Robsart ont désormais chacune un père littéraire. Le duo romantique Hugo/Foucher affronte le classique Soumet » (Amy Robsart, la « bâtarde » de Victor Hugo, étude de Marie-Pierre Rootering, dans L’Écho Hugo, Bulletin de la Société des Amis de Victor Hugo, N°5, 2005, p. 9-18). Des versions de cette pièce seront finalement publiées par Paul Meurice en 1889, puis en 1902, mais à sa manière avec ses choix de remaniement et de réécriture. À ce jour, aucune des Amy Robsart publiées ne peut avec certitude être considérée totalement comme la version finale souhaitée par Hugo.

[3Reproche ordinaire de Juliette à Hugo qui courtiserait les filles de boutique.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne