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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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18 décembre [1841], samedi, midi ½

Bonjour mon petit bien-aimé, bonjour Toto chéri. Comment vas-tu ce matin ? Il fait un temps de chien et de loup, un brouillard à n’y pas voir clair. Je suis toute frileuse et toute fiévreuse dans mon lit mais je t’aime de toute mon âme. Je n’ai plus que 13 jours et demi pour avoir mes ÉTRENNES et quoique j’enrage de vieillir, je les donnerais de bon cœur, ces 13 jours et demi, pour que ce soit tout à l’heure. J’ai une faim et une soif de votre chère petite écriture PARLANT À MA PERSONNE que je ne sais pas comment je ferai pour attendre jusque là [1]. À propos d’attendre, j’enverrai tantôt chez BARBEDIENNE avec la presque hideuse certitude que ce sera encore pour rien, mais rien ne pourra m’empêcher d’y envoyer car cela me tient aussi furieusement au cœur [2]. Baisez-moi.
M’aimes-tu, mon Toto ? M’aimes-tu comme je t’aime ? Je ne suis pas si ambitieuse et d’ailleurs, c’est impossible, mais enfin m’aimes-tu comme autrefois ? Il me semble que non car vous avez les yeux bien ouverts sur toutes mes dégradations et que vous n’en perdez pas une seule. Or, vous savez comme moi que l’amour est AVEUGLE, voilà ce qui constitue l’amour.
[Dessina]
Du moment où vous avez des yeux pour me voir telle que je suis, vous ne m’aimez pas, voilà la vérité. Moi je vous vois avec les yeux de l’âme, c’est-à-dire que je vous vois beau, jeune et ravissant. Baisez-moi, méchant homme, et tâchez de ne pas me regarder si vous pouvez et de m’aimer. Je le veux, je le veux, je le veux. Ne soyez pas jusqu’à ce soir sans venir me voir. Si vous saviez comme je trouve le temps long et triste loin de vous, vous auriez pitié de moi. Baisez-moi. Je vous aime, mon petit homme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16347, f. 221-222
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) Dessin de Juliette tendant les bras vers Hugo qui a un bandeau sur les yeux et dit : « ah ! Juju est très belle » :

© Bibliothèque Nationale de France

18 décembre [1841], samedi soir, 4 h. ½

Je t’aime, toi, tu es mon roi. Je suis au comble de la joie de penser que tu viendras souper à côté de moi. Tu es mon pauvre mignon adoré. J’ai hâte que la Suzon [3] soit rentrée pour te faire faire des bons petits épinards au sucre avec une petite salade ravissante. Je suis très contente d’avoir acheté ce poulet. Les femelles mangeront le reste demain, s’il y en a, sinon je leur fabriquerai un bon hachis qu’elles seront trop heureuses de chicoter. Ah ! ben par exemple, je voudrais bien voir que mon pauvre Toto ne passâta pas avant elles, c’est ça qui serait gentil [4]. Baise-moi, toi, je te dis que tu es mon pauvre amour adoré.
J’ai une venette [5] atroce que ce hideux Barbedienne ne m’ait pas tenu parole. Je ne sais pas ce que je donnerais pour avoir ce cher petit médaillon, mais je le désire trop pour qu’il m’arrive tout de suite comme ça à point nommé. Le Barbedienne me fera tirer la langue aussi, lui. Gredin va, si je te tenais, tu en verrais des drôles.
En attendant, Jacquot continue à se chauffer et à grogner et moi je vous aime à mort. Prenez garde au froid et au brouillard, mon petit Toto. Si vous étiez bien avisé, vous viendriez prendre une bonne petite tasse de bouillon et des bons baisers bien chauds, de ce temps-ci c’est très hygiénique. Venez vite, pensez à moi, ne me trahissez pas et aimez-moi. J’en ferai autant pour vous.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16347, f. 223-224
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « passa ».

Notes

[1À l’occasion de la nouvelle année, Hugo écrit toujours à Juliette une lettre qu’elle conserve précieusement dans le Livre rouge, et elle aime faire le décompte des jours qui la séparent des cadeaux qu’elle attend.

[2Juliette a fait fondre par Ferdinand Barbedienne un buste de Hugo qu’elle a enfin reçu le 29 novembre. Cependant, elle attend aussi de lui un médaillon contenant le portrait de son amant, mais le 20 novembre, elle redoutait qu’il ne fasse banqueroute. Depuis, elle demande donc instamment à Hugo de la mener à la fonderie.

[3Suzanne.

[4En général, le dimanche soir, quelques amies de Juliette Drouet viennent dîner chez elle. Il s’agit de Mme Triger, de Mme Guérard, de Mme Besancenot et de Mme Pierceaurestitus, beaucoup plus rarement de Mme Krafft.

[5Venette (populaire et familier) : peur.

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