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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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9 décembre [1841], jeudi matin, 10 h.

Vous n’êtes pas gentil, mon Toto, de n’être pas venu ce matin et si cela servait à vous faire venir, je vous gronderais bien fort. Mais vous êtes comme Jacquot, ni caresses, ni menaces, ni reproches, ni tendresse n’ont prise sur vous. Vous êtes aussi indifférent aux unes comme aux autres. Vous êtes un vilain Toto que je voudrais bien tenir en cage comme Jacquot. Comment allez-vous, monstre, ce matin ? Est-ce qu’en allant à votre vieille Académie vous ne viendrez pas me voir un peu ? Est-ce que vous ne sentez pas le plus petit remordsa de me laisser toujours toute seule dans mon sabot ? À votre place, je ne saurais où me fourrer si je me conduisais comme cela avec vous. Il faut vraiment que vous n’ayez pas le plus petit cœur. Comprenez-vous, mon amour, que contrariée et affligée comme je le suis de mon beau vase cassé, et y pensant sans cesse, j’aie oublié de vous en parler hier ? Pour moi, ça ne se comprend que par la joie que j’ai de vous voir qui me fait tout oublierb, mais je n’en suis pas moins très vexée de ma maladresse et je voudrais, au prix d’une bonne giffe de votre main, ne l’avoir pas cassé [1]. Baisez-moi, mon Toto, et venez bien vite.
Le temps qui paraissait si beau tout à l’heure s’obscurcit déjà et il est probable qu’il va encore pleuvoir. Coco continue son système de bouderie [2]. Quel animal rancunier ! Quel vieux Duval [3] ! Tout méchant et tout féroce que tu es, je te donne la préférence. Baise-moi, mon méchant Toto, et viens bien vite, je te pardonne. Je t’aime mon Toto ravissant, je t’aime mon petit homme bien-aimé.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16347, f. 193-194
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « remord ».
b) « oublié ».


9 décembre [1841], jeudi après-midi, 3 h. ½

Quelle belle journée, mon amour, et combien je regrette de n’en avoir pas profité avec vous bras dessus bras dessous dans quelque plaine, montagne ou cul-de-sac quelconque. Hélas ! je ne vois le soleil qu’à travers mes barreaux comme une infortunée cocotte prisonnière mais je vous aime, mon Toto, et je ne veux pas vous grogner indéfiniment et inutilement. Baisez-moi, revenez tout de suite de l’Académie ici et je vous pardonne tous vos trimes [4]. Le sieur Jacquot fait toujours des siennes et tantôt, c’en était fait de ma joue si je ne l’avais pas retirée à temps. Il a encore perdu deux plumes dans sa cage, cela tient peut-être aux petits os que j’ai eu la faiblesse de lui donner mais dorénavant, je serai inflexible. D’ailleurs, il n’est pas assez aimable pour me faire changer de résolution.
Je pensais que Mlle Hureau viendrait aujourd’hui et j’avais fait faire MON MÉNAGE de bonne heure mais elle n’est pas venue. Je suis toute seule.

Jeudi, 6 h. ¾

Au moment où j’écrivais ce dernier mot peu magique, Mme Triger et sa chienne sonnaient chez moi. Ellesa sont restées jusqu’à la nuit à ne me dire rien en beaucoup de paroles et de pattes crottées. À peine étaient-elles sorties de ma porte que Mme Franqueautre jacasse, entrait chez moi. Bref, elle s’en va à l’instant et j’en profite pour finir ma lettre par beaucoup de reproches mérités et beaucoup d’amour non mérité. Mais pour Dieu, que faites-vous, où êtes-vous et que devenez-vous ? Je vous attends, je vous désire et j’enrage.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16347, f. 195-196
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « Elle ».

Notes

[1Juliette a cassé la veille un vase du Japon, récent cadeau de Hugo.

[2Voir les lettres du 3 et 4 décembre 1841 : Jacquot a attaqué Juliette a plusieurs reprises et elle a donc dû le punir.

[3Il s’agit vraisemblablement d’Alexandre-Vincent Pineux, dit Alexandre Duval, (1767-1842) auteur dramatique, librettiste et acteur français, académicien opposé aux premières tentatives de Hugo pour entrer à l’Institut. Juliette parle de lui de la sorte car une querelle avec son ami Picard s’envenima au point que l’Académie dut intervenir et juger de leur différend pour les réconcilier. L’homme est sur le point de mourir.

[4Tous les jeudis ont lieu les séances publiques à l’Académie et Hugo s’y rend systématiquement.

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