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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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3 décembre [1841], vendredi midi

Bonjour Toto, bonjour mon cher petit bien-aimé, bonjour, bonjour mon petit homme adoré. Comment va le petit garçon ? J’ai bien prié cette nuit et ce matin pour lui, ce pauvre petit ange, et je suis sûre qu’il ira bien tout de suite [1]. En attendant, je l’aime et je vous aime de tout mon cœur et de toute mon âme et je voudrais baiser mon GRAND Toto à bouche que veux-tu.
Il se fait dans la maison depuis ce matin un travail des plus ennuyeuxa et des plus gênants, c’est la démolition d’une corniche dans le haut du toit qui ôtait du jour à ce qu’il paraît aux locataires des étages supérieurs. Mais pour leur rendre le jour à eux, on commence par m’aveugler moi car, sous peine d’avoir tous mes carreaux cassés, je suis forcée d’avoir mes persiennes fermées aujourd’hui et demain. Mais comme il m’est impossible de vivre dans cet aveuglement complet pendant deux jours, je commence par faire comme le petit garçon de l’école, j’en risque UNE [2]. J’ai donc fait ouvrir la persienne la plus près de mon lit pour t’écrire et en attendant que les maçons soient arrivés jusque là, après je verrai. Que le diable emporte ce stupide propriétaire d’avoir fait faire une corniche, le CORNICHON, et surtout de la faire défaire.
Coco [3] est sur son bâton fort grave et fort pensif, moi je suis dans mon lit fort désireuse et fort amoureuse de vous. J’espère que vous me donnerez aujourd’hui la fin de la préface [4] et que je pourrai la copier d’ici demain sans être forcée de lâcher ma proie à MANZELLE Didine [5]. DÉPÊCHEZ-VOUS donc un peu et baisez-moi pour de bon. Je vous aime, venez vite.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16347, f. 171-172
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « ennuieux ».


3 décembre [1841], vendredi soir, 4 h.

Comment va notre petit Toto, mon bien-aimé ? J’ai hâte de savoir de ses nouvelles. J’ai hâte de te voir, je suis impatiente de te baiser sur toutes tes chères petites coutures, même celles du beau gilet. Mâtin de chien, quel gilet.
[Dessina]
Et à ce propos, je vous dirai que je n’ai pas la moindre culotte à vousb chez moi. Je vous dirai en outre que le sieur Jacquot, sans provocation, sans motif et sans raison, m’a dévoré un doigt à deux reprises, aussi je lui ai donné une danse soignée et je l’ai enfermé dans sa cage tout de suite et sans MANGEOIRE. Ce soir, je dînerai à son nez et à sa barbe sans lui rien donner. Je veux qu’il apprenne à connaître la gratitude et quand il voudra du FRICOT et du bâton, il sera doux et charmant, autrement la cage toute CHESSE. Voilà désormais comme j’en userai avec vous et avec lui.
Je me suis aperçuec que vous aviez oublié votre MAGOT [6] dans mon petit meuble. J’avais envie de mettre la main dessus et puis ni vu ni connu, mais la probité naturelle à mon sexe a bientôt triomphé de cette tentation [chipésique  ?]. Je vous dirai que j’ai été toute la journée dans l’obscurité la plus profonde et qu’à l’heure qu’il est je ne sais pas encore s’il fait jour ou s’il fait nuit, car j’entends les plâtras qui tombent et les coups de marteaux qui m’assourdissent. Et j’en ai encore pour demain toute la journée à ce qu’il paraît, heureuse perspective. Mais je vous attends Toto, mais je vous désire, mais je vous aime. Venez donc bien vite.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16347, f. 173-174
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) Dessin de Juliette, les cheveux détachés et frisés [7], face à Hugo en habit avec un gilet à motifs et son chapeau à la main :

© Bibliothèque Nationale de France


b) « vous vous ».
c) « appercu ».

Notes

[1François-Victor Hugo, que Juliette surnomme « le petit Toto » ou « l’autre Toto », est un enfant de santé très fragile. Il va d’ailleurs développer une maladie pulmonaire très grave peu de temps après.

[2À élucider.

[3Jacquot.

[4Hugo vient de terminer la rédaction des deux volumes du Rhin, de la Conclusion, et il est en train d’en achever la Préface.

[5Juliette est souvent en concurrence avec Léopoldine Hugo dans sa copie des œuvres de Hugo.

[6Figurine représentant un personnage obèse et pittoresque nonchalamment assis. Réalisées en Europe, ces effigies étaient inspirées par celles du dieu chinois du Contentement (Larousse) ), et elles étaient très populaires depuis la seconde moitié du XVIIIe siècle. Diderot leur consacre d’ailleurs une définition satirique dans l’Encyclopédie.

[7Voir la lettre du 11 novembre 1841 : Hugo aime quand Juliette se frise les cheveux.

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