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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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5 mai 1839

5 mai [1839], dimanche matin, 10 h. ¼

Que faudra-t-il donc pour vous décider à venir déjeuner avec moi puisque les prières, les instances les plus passionnées, les [bains  ?] les plus ravissants et l’amour le plus vrai ne peuvent pas vous décider ? Je ne sais plus À QUEL SAINT M’AVOUER. Vous avez tort, mon Toto, de ne pas mieux m’aimer que ça. Ce n’est pas ma faute si j’étais malade hier ? Et puis d’ailleurs je ne sais pas ce que c’est que ce genre de ne pas venir déjeuner avec moi deux fois de suite ? Autrefois vous n’y regardiez pas de si près et vous déjeuniez presque toujours dix ou douze fois par jour, voilà la différence : à présent ni déjeuner ni dîner ni souper. Je n’ai plus rien. Il paraît que vous vivez de l’air du temps mais pas d’amour. Enfin il faut vouloir ce qu’on ne peut empêcher et se résigner. Vous voyez du reste, mon cher petit homme, qu’on peut me faire crédit et que je suis une très fidèle débitrice ? Je ne peux pas en dire autant de vous car votre arriéré prouve suffisamment que je suis la plus dupée des créancièresa. J’ai une faim et une soif de voyage et de bonheur qui ne peut pas se dire. Je donnerais de ma vie autant qu’on en voudrait pour un mois de grande route et d’amour avec vous. Pourquoi ne peut-on pas faire de ces marchés-là à volonté ? Le Bon Dieu aurait bien dû nous laisser cette latitude, il y [aurait  ?] déjà longtemps que j’aurais escompté ma vie à ce prix-là et que je ne la regretterais pas. Voici la petite Julie [1] qui vient me voir. Elle m’a écrit une petite lettre charmante pour me demander de nouveau pardon d’avoir été avec sa cousine l’autre soir. Cette pauvre petite est vraiment d’un naturel charmant, je regrette de n’avoir pas pu l’emmener l’autre foisc avec nous au spectacle. Jour Toto. Il fait un temps affreux et la mère Pierceau ne viendra pas. J’ai mal à la tête et je vous adore, voilà les nouvelles.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16338, f. 127-128
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Florence Naugrette

a) « créancière ».
b) « autrefois ».


5 mai [1839], dimanche soir, 8 h. ¼

Tu as mille fois raison, mon amour, de me désirer à tes promenades et je ne ferai pas défaut à cet appel si charmant car à dater de demain je veux être prête à midi. Ainsi, mon Toto, si vous persistez dans la bonne résolution de venir me chercher, vous me trouverez prête et nous aurons encore quelques-uns de ces ravissants beaux jours d’autrefois. Je vous aime, mon Toto, et vous vous en apercevreza, mon [illis.], à ma joie et à mon bonheur. Merci mille fois encore, mon Toto, pour ton adorable petit bouquet que j’ai déjà classé parmi mes reliques les plus saintes et les plus chères. Si tu m’avais dit tantôt, mon amour, que tu irais au Père Lachaise, j’aurais tout quitté pour t’accompagner. Il y a des moments de la vie qu’on ne laisserait pas perdre au prix de plusieurs années d’existence et celui-ci était du nombre. Je t’écris Mme Pierceau étant là, mais je ne veux pas attendre à plus tard pour t’écrire tout ce que j’ai dans le cœur : je t’aime, je t’aime, je t’aime, je t’aime, je t’aime. Et puis si tu viens me chercher, je ne laisserai derrière moi ni dette ni regret. Je pense, mon amour, que tu avais l’air triste et souffrant tout à l’heure et je me reproche l’éclair de joie et de gaieté que m’a donné ta présence. Je voudrais pouvoir le retenirb ou plutôt ôter de ton âme la tristesse et de ton beau corps adoré la fatigue et le mal. Je t’aime tant, mon Victor, si tu pouvais le savoir, tu m’aimerais autant par reconnaissance. Je voudrais que tu me fassesc sortir ce soir pour respirer avec toi, pour entendre ta voix, pour m’appuyer sur ton bras et pour baiser tes yeux de l’âme et du regard. Si tu savais combien je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16338, f. 129-130
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Florence Naugrette

a) « appercevrez ».
b) « Je voudrais pouvoir je voudrais le retenir ».
c) « fasse ».

Notes

[1Julie est la fille de son amie Mme Rivière.

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