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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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28 octobre [1841], jeudi matin, 10 h. ¼

Bonjour mon Toto bien-aimé, bonjour mon adoré. Comment vas-tu ce matin, mon Toto ? Vous n’êtes pas venu, mon amour, l’aria des tapissiers vous a effrayé [1] ? Cependant, vous auriez pu vous transvaser, comme on dit, et j’aurais eu très soin que vous ne soyez pas ennuyé, que vous ne manquiez de rien et que vous n’ayez pas de poussière dans vos chers beaux yeux adorés. Vous êtes une bête.
Je vais commencer le déménagement de ma chambre tout à l’heure et ça ne sera pas une petite affaire, attendu toutes les petites poteries et toutes les petites [foufonneries  ?] qui l’encombrent. Je voulais écrire bimbloteriesa [2], mais comme je n’en sais pas l’orthographe je me suis servi de l’autre mot qui répond à tout. Voilà comme chemin faisant il me vient des scrupules à l’endroit de la langue française, ce que c’est que d’[appartenir  ?] à académicien. Ia ia monsire matame il est son sarmes. Je filtre mes mots à présent dans les petites éponges de ma mémoire, à l’instar de ces célèbres marchands d’eau trouble. Au reste, si ça ne fait pas de bien, ça ne fait pas de mal et ça vous donne l’occasion de vous moquer de moi à tire-larigotb. Dites donc, mon amour, il fait un temps ravissant aujourd’hui et je donnerais bien des choses pour être avec vous sur le plus haut de la plus haute montagne à deux centsc lieues de Paris. Hélas ! tout le bonheur du voyage sed sera réduit à 0 pour moi cette année [3]. Maintenant, je voudrais être au mois de juin de l’année prochaine pour nous en aller vite vite. Ce jour-là, je serai bien heureuse et je crierai bien fort : quel bonheur !!!! Maintenant je ne dis que : mon Toto, je t’aime de toute mon âme.

BnF, Mss, NAF 16347, f. 65-66
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) L’orthographe est correcte.
b) « tirelarigo ».
c) « deux cent ».
d) « ce ».


28 octobre [1841], jeudi soir, 9 h. ¾

J’ai décidément trop mal à la tête, mon amour, et je suis trop lasse pour copier ce soir, mais cela ne m’a pas empêchéea de lire mon trois-quarts de feuille et de trouver l’histoire de la Suisse admirablement bien pendue à deux clousb [4]. Vous êtes mon ravissant petit bien-aimé que j’aime et que j’adore, vous êtes mon pauvre petit frileux que je baise pour le réchauffer. Papa est bien I, mais il mange trop vite et salit trop de mouchoirs de poche.
J’ai un affreux mal de tête et pour un rien je pousserais d’affreux cris. Cette baronne m’a paru moins sotte et moins pécore aujourd’hui que les fois précédentes et je dois convenir en outre qu’elle m’a parlé très raisonnablement sur ma fille et sur sa maison. Cependant, je regretterai toujours la modeste petite maison du faubourg Saint-Jacques avec la seule mademoiselle Hureau pour maîtresse. Enfin, il faut savoir vouloir ce qu’on ne peut empêcher et dans l’intérêt de l’enfant nous devons tâcher d’accepter cette madame Devilliers, qui après tout gagne à être connue [5].
Mais je vous aime, moi, voilà surtout ce que j’ai à vous dire. Je n’ai même que ça à vous dire. Je vous aime de toute mon âme et je voudrais être déjà au moment où je vous baiserai sur toutes les coutures et dessous et plus au fond encore. Soir Toto, reviens cette nuit, mon adoré, je n’ai ni tapissiers ni blanchisseuse demain et je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16347, f. 67-68
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « empêché ».
b) « cloux ».

Notes

[1La veille au matin, Juliette a averti Hugo de ces travaux, lui demandant de venir plus tôt mais craignant surtout que cela ne l’empêche de lui rendre visite.

[2Commerce : art de faire des colifichets ou jouets d’enfants et de les vendre.

[3Depuis 1834, Hugo et Juliette ont pris l’habitude d’effectuer un voyage de quelques semaines ou mois pendant l’été et le printemps mais en 1841, le poète est trop occupé par la rédaction monumentale du Rhin, et leur voyage annuel n’aura pas lieu.

[4Hugo est en train de terminer la Conclusion du Rhin.

[5Juliette et Hugo ont eu à gérer en mai-juin un petit contentieux avec la directrice de pension, ce qui a fait craindre à Juliette que sa fille puisse en pâtir.

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