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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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9 septembre [1841], jeudia après-midi, 3 h. ½

Je sais de vos nouvelles, mes chers aimés, je sais que tout va on ne peut pas mieux et qu’on vous a permis TROIS POTAGES !!!!! Aussi je suis tranquille et heureuse mais je le serais cent milliards de fois plus si vous étiez auprès de moi, même avec TOUS VOS POUX. Qu’est-ce qui vous empêche de venir travailler auprès de moi, vilain paresseux ? Est-ce la jolie femme de chambre de cette maîtresse si laide ? Si j’en étais sûre j’irais vous chercher plus vite que ça et vous montrer un peu de quel bois je me mouche. Voime, voime, grattez vos poux et taisez-vous, vilain, q u e que che o on chon [1]. Quand je pense à vous cela me gratte depuis les pieds jusqu’à la tête. Il me semble que j’en suis grouillante et pouilloulante, mettez ce motte dans votre dictionnaire en regard de pullulante et donnez-moi des droits d’auteuse [2], ça vaudra bien mieux que de regarder toutes les femelles qui passent, qui vont, qui viennent ou qui restent. La première fois que cela vous arrivera encore, je vous fiche une paire de giffes, que vous en verrez trente-six chandelles. Je n’ai pas besoin, moi, que vous regardiez toutes les femmes sous le nez jusqu’à la jarretière, prenez garde à vous car je suis chargée jusqu’à la GEULE, de coups de giffes et autres projectiles plus meurtrissantsb les uns que les autres. Je vous ferai tant de bosses et tant de noirs partout que vous n’oserez plus regarder personne ni vous laisserc regarder. Ah ! mais j’y suis décidée, c’est d’ailleurs le seul moyen de me venger de toutes vos coupables coquetteries. En attendant, baisez-moi et venez bien vite, je vous attends et je vous désire de toutes mes forces et je vous aime IDEM.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16346, f. 207-208
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) Juliette a écrit « jeudi » et « mercredi » l’un en dessous de l’autre sans en rayer un.
b) « meutrissants ».
c) « laissez ».


9 septembre [1841], jeudi soir, 5 h. ½

Je suis volée, trompée, assassinée [3]. Il est certain que vous êtes alléa à l’Académie et de là à Saint-Prix [4] sans [le  ?] moindre remordsb, sans la plus petite hésitation comme un scélérat que vous êtes. Et qu’est-ce que je vais devenir, moi, toute la soirée, toute la nuit et toute la journée de demain ? Je ne parle pas de mes babouches et de mon vase dont je ne me soucie plus guère dès que c’est en concurrence avec mon bonheur [5]. Si j’avais su, j’aurais fait retourner les heures en arrière et vous ne vous en seriez aperçu que lorsqu’il n’aurait plus été temps. Mais je n’ai de présence d’esprit que vingt-trois heures après le moment où c’est nécessaire. Je suis bien malheureuse et vous bien atroce. Taisez-vous, je ne vous ferai pas des images, comptez là-dessus [6]. Je n’ai pas besoin, moi, d’user mon talent pour un affreux bonhomme qui n’en vaut pas la peine. Taisez-vous, taisez-vous, taisez-vous, je vous défends de dire un mot ou je vous Piche des Chiffesc zur votre gros nez tuméfié. Vous mériteriez de recevoir sur votre affreuse bosse l’orage qui se mitonne et qui va éclater tout à l’heure. Voime, voime, tu n’aurais que ce que tu mérites, bien petitement encore.

6 h. ¾

Je vous demande pardon à genoux et avec les pouces humiliés de vous avoir calomnié et jugé capable de tous les crimes. Toto vous êtes un amour, Toto vous êtes mon petit saint. Toto, tu es mon cher petit Dieu que j’aime et que j’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16346, f. 209-210
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « allez ».
b) « remord ».
c) Voir « giffes ».

Notes

[1Juliette épelle.

[2Juliette proposera une autre féminisation de nom de métier le jeudi 23 septembre après-midi : « Décidément je suis une grande peintresse ».

[3Soit référence aux Fourberies de Scapin, acte I, scène 4, réplique d’Argante : « On n’a plus qu’à commettre tous les crimes imaginables, tromper, voler, assassiner, et dire pour excuse, qu’on y a été poussé par sa destinée », soit à la lettre de Beaumarchais du 15 novembre 1774 à M. de Sartines : « J’ai laissé mes affaires au pillage, j’ai couru des dangers de toute espèce : j’ai été trompé, volé, assassiné, emprisonné, ma santé est détruite ».

[4Pendant l’été 1841, les Hugo ont loué à Saint-Prix, dans le Val-d’Oise, un appartement meublé de la mi-juin à la mi-octobre, et le poète y passe du temps de juillet à octobre pour terminer la rédaction du Rhin.

[5Juliette a déjà réclamé ces objets dans sa lettre de la veille au soir.

[6Juliette aime agrémenter ses lettres de petits dessins représentant ses humeurs ou des anecdotes du jour. Or on a appris, le vendredi après-midi précédent, que Hugo lui a demandé de lui faire « des images ».

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