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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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27 juillet [1841], mardi matin, 10 h. ¼

Bonjour vilain monstre, bonjour voleur, scélérat, filou et bandit. Non content de me voler toutes mes affaires, vous m’avez pris encore mon mouchoir blanc pour me laisser votre sale. Mais comme c’est spirituel, mon mouchoir est marqué à mon nom et se trouveraa perdu chez vous comme déjà deux de mes plus fins et de mes plus neufs. Si vous vous croyez drôle vous vous trompez, MA PAROLE D’HONNEUR. Taisez-vous, vous êtes un monstre et je ne vous dirai pas l’âge du capitaine Lambert [1].
Comment allez-vous, scélérat ? Votre fièvre a-t-elle enfin disparub ? Il ne manque plus que d’être malade à présent pour mettre le comble à vos turpitudes. Tâchez un peu de vous guérir bien vite ou je vous ficherai des coups à tort et à travers.
C’est tantôt que Claire va voir son père [2]. Je n’ai pas pu te parler hier puisque Claire était là mais ce qu’elle m’a dit sur la position de Mlle Hureau dans la pension est peu rassurant pour nous, surtout pour ce que nous voulons faire de l’enfant [3]. Il faudra que je revoie Mlle Hureau et que je sachec positivement ce qu’il y a de vrai dans ce que ma fille m’a dit. En attendant tu es mon pauvre bien-aimé adoré.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16345, f. 89-90
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

« trouveras ».
« disparue ».
« saches ».


27 juillet [1841], mardi soir, 4 h. ½

Je t’attends, mon bien-aimé, avec l’amour et l’adoration dans l’âme. Ma fille est encore à la maison et la mère Lanvin n’est pas encore venue la chercher. J’ai mis le fameux collier turc pour faire plaisir à Claire et aussi pour vous en faire les honneurs car j’aime à me parer pour vous de ce que vous m’avez donné [4]. Je t’aime.
J’ai écrit encore une fois, mais directement, à la femme de mon père afin de savoir ce que ce silence obstiné signifie [5]. Je ne sais pas pourquoi, depuis hier, j’ai le triste pressentiment que le pauvre homme est mort. Si cela était, j’aurais perdu le seul être qui m’ait aimée auparavant toi. J’ai le cœur serré en pensant que peut-être il a pu croire que j’étais ingrate. Je donnerais tout au monde pour apprendre qu’il vit encore et que je pourrai le voir et lui témoigner ma reconnaissance pour les bons soins qu’il m’a prodiguésa toute petite et abandonnée de tous, même du bon Dieu puisqu’il m’a ôté mes vrais parents presque enb venant au monde [6]. Je suis triste, mon bon ange, j’ai besoin de te voir pour me redonner du courage. Je t’aime.
J’ai écrit encore à Mme Triger pour sa fête [7] et j’ai mis un mot pour Mme Pierceau, si elle n’est pas contente après cela, ma foi qu’elle aille au diable. Mais j’y pense, mon amour, peut-être la mère Lanvin est-elle chez toi dans ce moment-ci ? Ce qui expliquerait le retard que je remarquais tout à l’heure. Dans tous les cas j’aurai toujours l’air de ne rien savoir. Je t’aime mon amour, je t’adore mon Toto bien-aimé et bien chéri.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16346, f. 91-92
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « prodigué ».
b) « presqu’en ».


27 juillet [1841], mardi soir, 7 h. ¼

À peine étais-tu parti, mon Toto, que je me suis aperçuea que tu avais emporté le petit dessin que je caressais des yeux et de l’âme pendant que tu le faisais. Te dire le mal que tu m’as fait, mon Toto, en te jouant de la distraction que j’ai eueb pour trop m’occuper de toi en raccommodantc et en nettoyantd tes gilets, ne te donnerait pas la moitié de l’idée du chagrin que j’éprouve. C’est bien mal, mon ami, et je n’aurais jamais cru que de gaité de cœur tu consentissese à me faire un véritable chagrin, surtout dans le moment où je te donnais une preuve d’amour en m’occupant de toi. Vrai, mon Victor bien-aimé, tu m’as fait beaucoup de mal. C’est plus qu’une taquinerie, c’est une mauvaise action, d’autant plus méchante que je n’ai pas beaucoup d’occasionsf de joie ni de bonheur et que ce petit dessin fait par toi et donné par toi en était une bien grande. Mon Toto, tu m’as fait bien du chagrin mais je t’aime toujours.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16346, f. 93-94
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « aperçu ».
b) « eu ».
c) « racommodant ».
d) « nétoyant ».
e) « consentisse ».
f) « occasion ».

Notes

[1À élucider. Cette expression revient à plusieurs reprises aux mois de juillet, août et septembre. Les fils Hugo se préparent à passer le concours général et l’âge du capitaine est une plaisanterie commune pour moquer les problèmes géométriques et trigonométriques insolubles posés aux élèves.

[2James Pradier. Claire va parfois rendre visite à son père dans son atelier de la rue de l’Abbaye, accompagnée de Mme Lanvin.

[3Cela fait déjà quelque temps que Juliette s’inquiète pour sa fille. Sans ressources propres, elle ne peut envisager de garder Claire auprès d’elle, Hugo ne peut s’investir davantage et elle ne peut compter sur le sculpteur Pradier qui ne joue pas son rôle auprès d’elle. Elle réfléchit donc au moyen le plus avantageux, ou en tout cas le moins désagréable, pour assurer l’avenir de Claire et en faire une femme honnête : trouver un emploi dans son pensionnat de Saint-Mandé. C’est ainsi que l’adolescente y deviendra sous-maîtresse. Or, à ce moment, il semblerait qu’il se passe depuis début juillet quelque chose de très inquiétant, que Juliette qualifie même de « désastre général », dans le pensionnat, mais elle ne précise jamais exactement quoi. Quoi qu’il en soit, c’est assez important pour que les journaux en aient parlé (voir les lettres du 12 juillet et du 26, 27, 29 et 30 août).

[4Hugo a offert le 26 juin un petit bracelet turc à Juliette, qu’elle porte en collier.

[5L’oncle de Juliette, René-Henry Drouet, est hospitalisé aux Invalides, très malade, mais sa compagne, dame Godefroy, lui donne des soins et envoie régulièrement par lettre de ses nouvelles à Juliette.

[6Juliette, née Julienne Gauvain à Fougères, perd ses parents quelques mois après sa naissance et est placée en nourrice avec son frère et ses deux sœurs. Elle est ensuite confiée à sa tante maternelle Françoise et son époux René-Henry Drouet qui, ne pouvant plus subvenir à ses besoins à l’occasion de leur séparation, la placent dans un couvent parisien dès l’âge de dix ans. Mais manifestement son oncle, établi à Paris aussi, continue par la suite de veiller sur elle.

[7Les deux saintes fêtées, prénoms possibles de Mme Triger, sont Anne pour le 26 ou plus vraisemblablement Nathalie pour le 27.

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