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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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23 juillet [1841], vendredi matin, 11 h.

Bonjour mon Toto chéri, bonjour mon cher amour, bonjour toi que j’aime de toute mon âme.
C’est aujourd’hui le jugement du tribunal ? J’espère qu’il sera juste et que tes goistapioux n’en appelleronta pas. Quand on a aussi peu de temps et tant de travaux que toi, mon pauvre adoré, il est triste d’avoir à s’occuper de procès par-dessus le marché [1]. En attendant je suis toujours là, moi, à voir tourner mon ombre sur mes pieds [2]. Mais ce n’est pas le moment de me plaindre, pauvre bien-aimé, au moment où tu as toi-même tant d’ennuisb et tant de tracas.
Il fait toujours un froid de loup et un temps à porter le diable en terre. J’ai oublié de te dire que j’avais payé la penaillon hier et qu’aujourd’hui j’aurai l’étamage de la batterie de cuisine. Peut-être seras-tu venu avant l’étameur, dans tous les cas Suzanne avancera ce qu’il fautc.
Tu oublies toujours de me donner à copier, mon Toto, et j’en suis très fâchée parce que c’est ma seule consolation et mon seul plaisir loin de toi ; tâche donc d’y penser, mon amour chéri, si tu m’aimes. Jour Toto, jour mon cher petit O, MAMSELLE CHICHI ET BAS PEAUCOUS QUAI [3] mais elle vous aime.

BnF, Mss, NAF 16346, f. 79-80
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « appeleront ».
b) « ennui ».
c) « ce qui ». Cette formulation est un choix de Juliette, elle l’emploie à plusieurs reprises alors qu’elle connaît parfaitement le bon usage.


23 juillet [1841], vendredi soir, 6 h. ¼

Vous voyez bien que je n’ai pas mon conte et vous voulez cependant que je sois très contente mais prenez garde de le perdre, je suis d’une humeur massacrante et si j’étais derrière le vôtre vous en auriez des preuves frappantes. En attendant je bisque [4].
J’ai eu tout à l’heure le Chauvet de la nature qui venait m’apporter les deux morceaux de cuivre manquant à la commode et me tirer une carotte de cent sous avant l’époque convenue. Je lui ai dit que si je le pouvais je les lui enverrais demain mais que je ne les lui promettais pas autrement. Au reste les deux morceaux de cuivre ne vont pas du tout mais c’est égal, je n’en persiste pas moins à me louer de mon achat [5].
J’ai un mal de tête atroce, peut-être est-ce à ce vilain temps qu’il faut l’attribuer. Je te demanderai à me faire sortir un peu ce soir si tu viens avant minuit. Baise-moi, mon amour chéri, je t’aime. Elle est en régiment des gardes, comme un cadet. Baisez-moi, mon cher petit homme. J’ai une affreuse plume mais je ne veux la tailler que pour votre conte compte mon cher vicomte. D’ailleurs c’est toujours assez bon pour vous dire que vous êtes un affreux scélérat que j’aime et que j’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16346, f. 81-82
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Il s’agit du procès qui oppose Hugo aux théâtres parisiens et de province qui représentent Lucrezia Borgia, l’opéra de Donizetti adapté de Lucrèce Borgia, traduit en français par Étienne Monnier et qui porte donc le même nom que la pièce du dramaturge sans qu’on lui ait demandé la moindre autorisation. Il va gagner son procès et après l’appel, le jugement définitif sera prononcé le 5 novembre 1841.

[2Citation du poème écrit pour Juliette par Victor Hugo : « La pauvre fleur disait au papillon céleste (…) : / Mais non, tu vas trop loin ! - Parmi des fleurs sans nombre / Vous fuyez, / Et moi je reste seule à voir tourner mon ombre / À mes pieds » (Les Chants du Crépuscule, XVII, 1835). Elle l’emploie de temps à autre.

[3Juliette imite l’accent allemand.

[4Hugo est en pleine rédaction de la lettre XXI du Rhin, « Légende du beau Pécopin et de la belle Bauldour », conte en dix-neuf chapitres, dont Juliette parle ici. Jean-Marc Hovasse remarque que ce récit est une « légende promise par le voyageur, dans les ruines de Falkenbourg, au destinataire fictif de toutes les lettres du Rhin. […] Victor Hugo l’a composée à partir des légendes rhénanes qu’il a lues, des sites qu’il a visités, et des sources habituelles de son inspiration » (Victor Hugo, t. I, ouvrage cité, p. 836-838).

[5Le jeudi 15 avril au matin, les époux Chauvet, voisins du dessus de Juliette au 14 rue Sainte-Anastase, ont déménagé et ils ont été remplacés le mercredi 21 avril par un couple de futurs mariés. Ils n’ont manifestement pas pu emporter leur commode trop encombrante et le mercredi 12 mai après-midi, Juliette mentionnait son désir de l’acquérir.

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