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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Lundi 19 juillet [1841], 11 h. ½ du matin

Bonjour mon Toto chéri, bonjour mon cher amour. Tu n’es pas venu mais je compte sur toi DEMAIN, tu sais pourquoi ? Cela me ferait bien du chagrin si cette matinée se passait sans toi, aussi mon cher petit bien-aimé j’y compte de toute mon âme, entends-tu bien [1] ?
Toujours, toujours de la pluie. C’est bien ennuyeuxa, même pour moi qui ne sors pas. On a de la peine à vivre de ce temps-ci, pour un rien je me recoucherais tant je trouve le temps ennuyeuxa et fatigantb. Il faut plus que du courage pour vivre toujours seule comme je le fais, il faut de l’amour. J’aimerais mieux être obligée de gagner ma vie que de rester dans une inaction qui me laisse compter toutes les heures, toutes les minutes et toutes les secondes de ton absence. J’ai beau n’être pas une minute sans rien faire, ça n’est pas suffisant pour m’intéresser au point de sentir moins péniblement ton absence. Aujourd’hui par exemple c’est intolérable et pour un rien j’enverrais tout au diable et je me sauverais en prenant mes jambes à mon couc jusqu’à ce que la Terre ne puisse plus me porter. Je t’aime trop mon amour et voilà la cause de tous mes maux et de toutes mes joies. Je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16346, f. 65-66
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « ennuieux  ».
b) « fatiguant ».
c) « coup ».


19 juillet [1841], lundi soir, 5 h. ½

Toujours pas plus de Toto que de beurre sur la main, c’est bien ennuyeuxa pour ne pas dire un mot plus énergique. J’espérais que vous viendriezb au moins une pauvre petite minute dans la journée pour m’apporter à copier. Eh bien oui, il n’y a pas de danger que vous me donniez ce bonheur-là. Rien, c’est assez bon pour moi. Ia, ia monsire Dodo mais ça ne m’amuse que tout juste. Je compte sur votre patron pour me rabibocher un peu de tous mes mauvais jours [2], après ça je ne saurai plus à quel saint me vouer [3]. En attendant je bisque, je rage et je bois de la tisanec à tire-larigotd. C’est peu régalant, convenez-en scélérat. J’ai eu pour fou rire ma blanchisseuse, je vais avoir pour agrément le raccommodagee de mon linge mais auparavant je veux vous copier la lettre du petit dauphin [4].
Viens donc bien vite mon amour. Vraiment à force de te désirer à sec et de t’attendre indéfiniment, j’en deviens imbécilef et je ne sais plus ce que je dis ni ce que je fais. Je t’aime trop.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16346, f. 67-68
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « ennuieux ».
b) « viendrez ».
c) « tisanne ».
d) « tire larigo ».
e) « racommodage ».
f) « imbécille ».


19 juillet [1841], mardi matin, 9 h. ¼

Bonjour mon Toto adoré, bonjour mon amour, bonjour mon vieux menteur. Qui est-ce qui vous a empêché de venir ce matin, scélérat ? Vous ferez tant que je me fâcherai pour de bon et alors il n’y aura plus moyen d’y tenir.
J’ai l’ouvrière Pauline qui découd votre paletot, maintenant il faut de la doublure ou bien ça n’ira pas vite. Si tu as l’argent tantôt nous pourrons aller l’acheter aujourd’hui même. Il a l’air de faire vilain ce matin, c’est à peine si je vois à t’écrire. C’est vraiment bien ennuyeuxa, je crois que j’aime encore mieux la gelée que la pluie, c’est moins triste. Pourquoi n’êtes-vous pas venu, mon amour ? Cela ne vous aurait pas empêché de travailler toute la nuit comme un pauvre chien, mais vous vous seriez reposé ce matin auprès de moi, ce qui m’aurait rendueb bien heureuse. Et puis vous auriez été tout porté pour aller chercher votre doublure. Vous êtes une bête, taisez-vous.
Suzanne a été chercher le chevalet chez Mme Guérard [5]. Il est là mais je ne l’ai pas encore vu. Je voudrais être aussi indifférente à votre endroit, je ne serais pas aussi tourmentée et aussi impatiente quand je ne peux pas vous voir autant que je le désire. Taisez-vous, vous êtes une bête et moi aussi mais je vous aime de toute mon âme, moi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16346, f. 69-70
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « ennuieux  ».
b) « rendu ».

Notes

[1Le 21 juillet est jour de la Saint-Victor, et traditionnellement, les fêtes sont souhaitées la veille.

[2Juliette fait coudre un paletot à Hugo par l’ouvrière Pauline. Comme elle supervise les opérations de couture, cela lui permet de s’occuper un bon moment.

[3Il s’agit vraisemblablement ici d’une plaisanterie de Juliette en référence au fait que le 21 juillet sera jour de la saint Victor, traditionnellement souhaitée la veille comme toutes les fêtes, et qu’elle espère naturellement la présence de Hugo auprès d’elle le lendemain.

[4À élucider. Ferdinand-Philippe d’Orléans, héritier présomptif ? Quant à la lettre, peut-il s’agir de l’échange épistolaire avec Hugo à l’occasion du mariage du duc avec la princesse Hélène de Mecklembourg-Schwerin le 30 mai 1837 ? En effet, le poète fut invité aux fêtes de Versailles données pour célébrer l’événement, mais comme Alexandre Dumas, à cause de Louis-Philippe, ne faisait pas partie des chevaliers de la Légion d’honneur promus, en soutien à son ami, Hugo refusa et envoya une lettre d’explication au duc. Ce dernier lui fit donc parvenir une lettre d’excuse pour l’assurer que l’affront serait réparé.

[5Il semblerait que ce soit à Mme Guérard que Juliette achète, ou alors fait acheter, le matériel de dessin de Claire, pensionnaire d’un établissement de Saint-Mandé depuis 1836.

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